La compagnie aérienne missionnaire S.A.M. (Service Aérien Missionnaire) mi fin à ses vols régionaux au Congo en 2008, après 38 ans d’activités.
Le «géniteur» en fut le Père Jacques Fiévet, Missionnaire d’Afrique.
Durant de nombreuses années sa mini-compagnie aérienne était mieux connue au Congo sous le nom populaire d’Air-Jacques. (*)
Aviateur chevronné, notre cousin André de Failly, fils de Jean de Failly et de son épouse Marie-Adeline d’Ydewalle, a souhaité rendre hommage au Père Jacques, missionnaire-aviateur qu’il a souvent cotoyé sur divers aérodromes du Congo.
Nous reproduisons ci-dessous son récit, intitulé Les Trois Miracles du Père Fiévet.
(*) Le site des Missionnaires d’Afrique (les ‘Pères Blancs’) a également consacré un article à l’histoire de la compagnie aérienne S.A.M.
Introduction
Jacques Fiévet était Père Blanc. Idéaliste, généreux comme des centaines de jeunes gens des temps anciens.
Il s’était engagé volontaire dans l’ordre des Pères Blancs d’Afrique pour instruire, protéger, assister les masses d’Africains qui vivaient péniblement en manque de tout, affolés et sans défense, au temps des sorciers à plumes et des esclavagistes armés de pétoires à poudre.
Jacques Fièvet était le fils aîné d’une famille nombreuse, chrétienne et campagnarde du Condroz. Baptisé en 1928, il était séminariste en 1948.
L’ambiance familiale allait de soi. Les liens étaient solides et définitifs. Jacques était plutôt du genre doué et costaud avec son mètre quatre-vingt. Il était patient et décidé comme un ardennais.
Chapitre premier
Jacques au Congo, Jacques au Zaïre.
Dès les débuts de la "colonisation" du Congo Belge, les différents ordres missionnaires s’étaient organisés par territoires entiers à évangéliser les Bénédictins, les Jésuites, les Frères Maristes, les Scheutistes et les Pères Blancs. Chaque ordre prenait un immense territoire à sa charge.
Les Pères Blancs se virent attribuer le Maniéma et le Kivu. Deux immenses territoires de forêts denses entre les plaines des affluents du fleuve Congo et les hautes montagnes du Kivu.
Ces territoires sont sillonnés de fleuves sauvages, parsemés de gros reliefs rocheux et débouchent brusquement sur un immense lac paisible, admirable et très profond.
Au Nord du lac Kivu se trouve la ville de Goma avec son bel aérodrome et ses volcans plus ou moins dormants à 3000 m d’altitude.
Le Maniéma (en rive droite du fleuve Lomani) se situe en plein sur l’Équateur. Cette rude contrée avait aussi été la Terre accaparée par le redoutable Tippo Tip, esclavagiste numéro 1, tout au long du 19ième siècle. Stanley était également passé par là ainsi que le formidable Livingstone.
Le survol de ce pays est renommé pour ses étendues de forêts sans repère, ses distances et ses météos excessives des climats tropicaux.
La Mission des Pères Blancs, avec Jacques Fièvet et ses confrères, était basée à la Mission de Bukavu au temps des grands remue-ménages d’avant et d’après les « Indépendances » du Congo des années 60.
Les Pères œuvraient au quotidien dans leurs classiques postes de missions, à l’écart de la belle ville de Bukavu. Cette ville était encore prospère avec ses nombreux colons belges nostalgiques qui s’accrochaient de toutes leurs forces à leurs lacs, leurs climats, leurs entreprises te leurs belles habitations.
Deux beaux aérodromes équipaient la ville.
De la Mission de Bukavu dépendait aussi une bonne dizaine de postes missionnaires disséminés sur un territoire lointain et grand comme la France.
A la Mission, Jacques était enseignant, prêtre, chef d’atelier, chauffeur de camions, en charge de « la procure », de l’acheminement du ravitaillement, du carburant, du courrier, des pharmacies et des finances. Efficace, il était partout et aussi beaucoup sur les routes.
Au bout de quelques années de crapahutes en 4x4, en camion Toyota, ou en tracteur, par des routes dévastées, des ponts cassés, des inondations et d’inévitables rencontres incertaines, Jacques a commencé à s’intéresser aux avions de brousses. Il était dans sa quarantaine.
Au Kivu, deux grandes sociétés minières s’équipaient progressivement d’avions petits porteurs et d’élémentaires petits aérodromes de brousse.
La mission protestante de Bukavu vint à en faire autant. Avec succès.
Un petit porteur pour les Pères Blancs serait aussi un formidable outil !
Chapitre 2
Le Piper Cherokee
Les ordres religieux, c’est bien connu, ont parfois des alliés et des amis généreux bien placés et dotés de bras très longs. Les Pères de Bukaku avaient des amis de cette trempe en Hollande et voici que, Déo Gracias, les amis hollandais s’engageaient à fournir un avion petit porteur à la mission de Bukavu. Un beau petit avion, sorti d’usine et sans pilote…
L’aubaine était de taille et forçait à prendre à prendre quelques décisions bien calculées.
Les Pères Blancs tirent conseil car il leur fallait trouver sans tarder le pilote d’avion idéal, fiable et pas cher.
Après mûres réflexions, Jacques se propose de suivre des cours de pilotage à Temploux, dès son prochain congé en « Europe ».
Ainsi fut fait…
Cours au sol, météo, moteur, aérodynamique, navigation, instruments, radiophonie, règlement… suivis des premiers vols dans l’avion de l’aéroclub avec le moniteur attitré.
Premiers Check List, premiers décollages, avec cap et vitesses appropriés, circuits, vent arrière, finale atterrissages, remise des gaz, atterrissages… Encore et encore, jusqu’aux bons réflexes et bons jugements.
Aux congés suivants : Quelques navigations calculées dans les Ardennes, des circuits à Gosselies, des approches à Bruxelles ou à Lille pour se familiariser avec toute la phraséologie à l’américaine des contrôles aériens.
Il s’agit d’apprendre vite et bien.
Vinrent les premiers solos, les premiers brevets, les brevets hors frontières, avec passagers… Ouf !
Jacques était paré.
La Traversée du désert
Un voyage de cette ampleur se prépare à fond et dans les détails.
Passons, passons, sur les impératifs administratifs concernant le matériel volant, les autorisations de survols, les brevets, les licences, et les homologations de toutes sortes.
Ces multiples démarches sont assez fastidieuses, mais elles assurent une bonne part de la sécurité aérienne.
L’avion
L'avion des missionnaires est un Piper Cherokee.
Un petit avion tout basic de construction américaine des années 60, l'avion vole bien, à 200 km/h en croisière, et atterrit à 95 km/h.
Un avion à ailes basses avec un moteur Lycoming de 4 cylindres à plat, de 150 Hp pour 5 litres de cylindrée.
Une hélice à pas variable et une consommation de 40 litres d'essence à l'heure.
Bref: Une belle petite machine très fiable avec son train fixe, son poids à vide de 544kg, sa charge utile de 430 kg.
et son autonomie de 860 km. (465 nm) soit 4 heures de vol max.
La navigation
Temploux, ou plutôt L'aérodrome de Gosselies, car douanes et plans de vols obligent, se trouvent sur la latitude géographique de 52 ° Nord. Kinshasa destination, se trouve à 2° sous l’Équateur.
Une distance de 54 degrés de latitude font une distance /sol de 3.000 miles nautiques c’est-à-dire 5.800 km. L'avion vole à 108 nautiques à l'heure.
L'équation finale donne : 30 heures de vol, 8 escales, 1.200 litres de carburant et 5 ou 6 cartes topographiques au millionième, tracées avec précisions, de caps, de distances, de repères.
Itinéraire présumé ; Charleroi, Cannes, Ajaccio, Alger, Guardaia, El Goléa, Tamanrasset, Agades, Kano, Yaounde, Bangui, Mbandaka, Kinshasa.
Jacques se savait peu expérimenté. Il eut la bonne idée de se faire accompagner d'un confrère débrouillard et confiant. Surtout confiant.
Le jour « J » arriva.
Les météos étaient bonnes. C'était l’hiver, les vents de sable dans le Sahara n'étaient pas à redouter et le Vaillant Cherokee décolla pour l'étape numéro un : Cap au sud.
Nous ne savons pas vraiment par où les bons pères sont passés. Nous pouvons supposer, le cheminement suivant : En trois jours, la France, la Corse, la mer, la Kabylie, Alger.
La France avec ses paysages confortables et prospères, la méditerranée et ses longues heures de monomoteur «au-dessus de la flotte » en frôlant la Corse et la Sardaigne. L'Algérie enfin avec et sa sévère géographie accidentée et plutôt inhospitalière.
Jours suivants, El Goléa, Tamanrasset, Agades, Kano ; rien que du désert.
Vide de vide, avec seulement des gros cailloux au sol, des dunes et des mystérieux méandres d'immenses rivières préhistoriques.
Le sol est uniformément ocre avec des traînées de roches anthracites, le ciel est d'azur, le soleil est de plomb et la visibilité excellente.
Le spectacle est si surprenant que le silence s'installe dans l'habitacle. Pas un chameau, pas âme qui vive, pas de route, pas un buisson.
À 2.000m, la température dans l'habitacle est tempérée, et le tableau de bord affiche tranquillement toute la bonne tournure de l'expédition, le moteur ne fait pas un seul raté.
L'équipage navigue heureux, les cartes sur les genoux et bien content que les quelques radiobalises escomptées confirment la justesse du tracé.
Arrive « Le Hoggar » visible depuis des heures avec sa bienvenue escale en récompense. C'est Tamanrasset, avec sa chaleur et ses mouches. Ses maisons en torchis chaulées et ses nombreux habitants placides enturbannés et en jeans.
Les 4x4 japonais et les vieilles Peugeot ont détrôné les dromadaires depuis longtemps. Quelques tavernes de planches et de chaume proposent leurs minuscules doses de thé à la menthe.
Redécollage, un beau matin et cap au Sud.
Arrive Agadès. Une ville du Niger très étendue et en terrain plat. Vue d'en haut, tout est ocre, couleur de sable : le sol, les cases, les chemins, les entrepôts. Le patelin ne se discerne que par ses ombres et ses angles droits.
Seule la lointaine piste de l'aérodrome trace un mince trait noir de bitume dans cette plaine sans fin.
Atterrissage. Étirements des membres plus ou moins cocasses, observations premières et généreux silence d'après vol.
Étapes suivantes. Kano, Yaoundé, Bangui
Ou la transition assez brusque du désert de sable à la verdure tropicale. D'abord quelques buissons, puis des rivières, des arbres rares et rabougris, des villages épars sous leurs toits de tôles .Des restes de forets surexploitées, Un paysage plein de cicatrices.
Puis, tout se densifie au sol pendant que l'avion progresse au cap constant.
Arrive Bangui dans son environnement tout criblé des milles petites excavations des chercheurs de diamants. C'est le pays de Bokassa. Il vaut mieux ne pas s'y attarder.
Vite, les dernières étapes : Bandaka, Kinshasa. Cette fois, c'est la forêt dense, et un peu redoutable par sa masse engloutissante. Le fleuve Oubangui se précipite sur Mbandaka, l'ancien Coquilhatville des belges.
Des masses d'eau impressionnantes serpentent à travers tout le paysage en charriant des arbres entiers, des débris de forêts et de berges effondrées. Le fleuve est brunâtre de limons et de jacinthes d'eau. Une force de la nature qui s'impose.
Les deux navigateurs aperçoivent parfois au sol, l'ombre de leur petit avion qui semble sauter tranquillement tous les obstacles de cette terre sauvage a du 200 km à l'heure. Un furtif moment de fierté intérieure.
L'Oubangui se jette dans le fleuve Congo, c'est à dire, une nouvelle démesure au milieu de la forêt sans fin.
Dieu merci, la météo est bonne, car c'est la région où les orages sont de murs de turbulences, d'arcs électriques foudroyants, accompagnées de redoutables trombes d'eau.
Chemin faisant, le fleuve Congo s'élargit brusquement, il devient « Stanley- Pool ». Nous y sommes, c'est Kinshasa droit devant.
Atterrissage à N'Dolo, l'aérodrome de Léopoldville.
Et Mission Accomplie. Enfin.
Miracle n°1
Jacques volait depuis plusieurs mois avec ses cargaisons de ravitaillements, de médicaments et de passagers entre Goma, Bukavu, Kampene, Lulingu, Kasese … consciencieusement et sans accrocs, de poste en poste, au quotidien, par-dessus la brousse du Maniéma, lorsque, un beau jour, son Révérend Père Supérieur lui demanda un lift à destination de Kassongo, afin d'y faire une visite officielle et pastorale.
C'était une destination nouvelle, le terrain n'était pas bien connu. C'était loin, mais faisable en 1h20 de vol. Les compères conviennent de prendre quelques précautions avant d'atterrir car l'aérodrome est incertain. Jacques accepte la mission et s'y prépare.
Décollage de routine donc, et cette fois avec un évêque en large soutane blanche, en prévision d’un triomphant accueil à l'africaine sitôt arrivés.
L'habitacle du Cherokee est étroit, et les deux pères blancs, sont un peu serrés dans leur coude à coude. Ils contournent le haut du Kahuzy, la montagne aux gorilles, prennent un cap ouest en légère descente, suivent la rivière Ulindi, passent Shabunda et son terrain, bifurquent sans encombre vers leur destination.
La météo est clémente et les repères bien visibles. Le vol est bien mené sous les cumulus de beau temps. Le sol glisse lentement sous les ailes et loin devant, l'horizon recule.
Enfin, voilà Kasongo et son aérodrome vu de loin et de haut.
La plaine est vaste, elle semble être en bon état, sans épaves abandonnées, sans tranchées, sans obstacles. Jacques remarque que la plaine semble pourtant bien verte. En léger virage à gauche, il observe, cogite, mesure, et décide d'atterrir.
Le «Monseigneur» ne dit rien n'aimant pas beaucoup les virages serrés et les ailes qui penchent.
Jacques fait son circuit en vent arrière, amorce son dernier virage en descente, s’aligne nez haut avec un peu de volet et moteur réduit, il s'apprête à toucher le sol,...
Horreur, le sol se dérobe, les roues sont dans le mou, des herbes volent et se couchent, les roues touchent enfin et l'avion, brusquement freiné, s'enfonce dans une végétation haute et dense qui se couche.
Des épis, des graines et des copeaux flagellent la verrière, et virevoltent de partout, la visibilité est presque nulle dans ce charivari de moissonneuse-batteuse.
Puis, enfin, tout s'arrête ; l'hélice continuant à mouliner tranquillement ces herbes sèches de deux mètres de haut. Les deux compères se regardent un peu interloqués car c'était un atterrissage un peu spécial.
Tracté par son hélice, Jacques se trace un étrange chemin dans les végétaux jusqu'à l'aire de stationnement. Il se fait songeur et pense au décollage du lendemain.
Il amarre solidement son avion au sol, pour parer à tout coup de vent et monte à la Mission avec son évêque, embarqués par un confrère venu à leur rencontre.
Le comité d’accueil escompté était, heureusement, des plus réduit ce jour-là.
Retrouvailles au réfectoire : plaisanteries, détente et une bonne bière de la réserve, ont amorcé des vifs conciliabules abordant le décollage du lendemain.
Jacques se préparait à dégager les cylindres, les magnétos, le filtre à air de toute la paille, le foin et les débris de matitis qui encrassaient le moteur. Tandis que la mission se chargerait d'engager des équipes de travailleurs pour faucher au coupe-coupe une piste praticable de 800m... C'était le plan.
Arrive le soir, arrive la nuit et le chacun pour soi dans la nuit.
Un petit orage, peu dérangeant, grondait au loin, comme d'habitude.
Mais bientôt, le petit orage se fit plus proche et plus menaçant. De plus en plus proche. Bien vite, des éclairs craquaient d'un gros nuage à l'autre, avec des bruits d'explosions, des arcs électriques déchiraient la nuit et se fichaient au sol avec fureur, l'orage tropicale dérivait avec tout son fracas vers l'aérodrome, l'orage était sur la plaine,
Jacques n'en dormait plus. Il avait bien attaché son avion mais les coups de vents malvenus et excessifs pouvaient sévèrement maltraiter la machine.
Et voilà que : pire que pire, un feu de brousse se déclare aux abords de la plaine. L'inquiétude devint angoisse, car toute la plaine finit par prendre feu, dans un général embrasement massif.
« Mon avion, mon avion ! » Devait songer Jacques.
Au petit matin, les missionnaires, un peu tremblants, se préparent tristement à constater les dégâts : Les hautes herbes d'hier ont bel et bien brûlé, le vaste aérodrome est tout carbonisé.
Au sol, il n'y a que cendres noires, légères et immobiles.
Y compris sous l'avion, les pneus sont plantés tout ronds et bien gonflés dans la cendre noire, les ailes sont propres et toutes blanches sans un débris, sans une trace d'herbe brûlée, les réservoirs ont vu le feu de près et l'avion est intact. C'est miracle ! L'avion est sauf.
La suite de cette histoire ?
En quelques demi-heures, Jacques a entièrement nettoyé la nacelle moteur et vérifié les câbles d'allumages, les deux magnétos, le filtre à air, les tubulures d'échappements. Le niveau d'huile…
Il a fait un essai moteur et vérifié le pas variable et les magnétos, tout était bon.
S'ensuivit ; le chargement comme à l'accoutumé, les brefs adieux et quelques chaudes connivences en plus suivi d'un majestueux décollage de routine sur un sol dur et bien roulant comme si de rien n'était.
Fin de cette histoire au caractère miraculeux.
Miracle n°2
Le Cherokee avait atterri dans l'après-midi sur un aérodrome en dur.
La nuitée était prévue « à la Mission » avec un décollage le lendemain matin.
Le Père Jacques avait soigneusement amarré son avion à l'endroit prévu, c’est-à-dire à proximité de la tour de contrôle et des hangars construits au temps de « Air Congo ». Les bâtiments étaient couverts de tôles ondulées et se faisaient, peut-être, un peu vétustes. Tout était bien tranquille et inspirait confiance.
Dans la nuit noire, toutefois, une série de féroces coups de vents inattendus, aux allures de petits cyclones vinrent soulever et arracher l'ensemble des tôles emportant leurs antiques chevrons passablement rongés, sans doute, par les ans et les termites.
Résultats : Jacques découvrit, au petit matin, avec angoisse, un sol jonché de tôles et de clous tordus tout autour de son avion et même en dessous.
Il devinait les redoutables cisaillements des tôles envolées avec fracas dans cette nuit de tempête et leurs tourbillons féroces à la verticale de son avion, de sa verrière, de son empennage, et de ses ailes.
Il découvrit le Cherokee intact dans sa blancheur habituelle et immobile dans ses amarres.
Alléluia! Alléluia !
Miracle n°3
Jacques et son avion étaient bel et bien opérationnels depuis quelques années de travail aérien, lorsqu'un jeune banquier de Bukavu qui avait son brevet de pilote privé, émit l'idée de louer le Cherokee de la mission pour passer un week-end entre amis, dans la Réserve de la Virunga, au nord de Goma. Un long week-end de Safari entre amis.
Les Pères se consultèrent et acceptèrent le projet. L'homme étant correct et digne de confiance.
Sans compter qu’accessoirement, la location de l'avion présentait quelques aspects intéressants pour les deniers de la procure.
Comme conclu, un beau jour, l'avion était fin prêt, Jacques fit ses recommandations au pilote et aux passagers. Ils étaient 4, avec leurs gros sacs de baroudeurs, leurs chaussures et grands chapeaux pour les 2 dames.
Compte-tenu de l'altitude, l'avion du banquier, avec son plein de carburant, était proche de sa charge maximale.
La piste d'envol de Bukavu est de bonne dimension, elle se trouve à 1.500 m d'altitude, est orientée Nord Sud, en légère pente vers le Sud. Une ligne à haute tension se trouve à 3 km au Nord, un gros relief ferme l'ouest, le lac Kivu s'ouvre à l'est.
En général il y a très peu de vent à Bukavu si bien que les avions décollent d'emblée dans la pente vers le sud, même par vent légèrement défavorable.
Les Boeing 737 d'Air Zaïre y vont et viennent régulièrement selon cette procédure.
Pour le Cherokee de nos amis, tout était prévu : décollage dans la pente Sud, puis virage à gauche en montée sur le lac, cap sur Goma et joyeuses 25 minutes de vol en perspective.
Le moment venu, ils roulent en « taxi » sur quelques cents mètres, moteur au ralenti pour s'aligner et décoller vers le sud.
Hélas, le vent du nord avait un peu forci entre-temps et le contrôleur aérien décide d'inverser le sens des décollages c’est-à-dire dans le vent mais en légère montée, vers le nord. Le Cherokee obtempère aux ordres comme il se doit et s'achemine longuement vers le seuil de la piste en léger creux, pour un décollage nord.
Au bord du taxi-track, le père Fievet juge les nouvelles conditions de décollage franchement inconfortables voire même dangereuses. Mieux valait attendre un peu que le vent faiblisse pour décoller vers le lac.
Sans radio, ni téléphone, ni drapeaux rouge...il fait des grands signes au jeune pilote en croisant les bras bien haut pour dire de loin ; « Stop, halte, revenez, ne décollez pas maintenant, c'est mal parti, Attendez un peu… »
Tout joyeux, nos jeunes gens répondent et rajoutent des Aurevoirs enthousiastes et confiants, les mains en éventails.
Très inquiet, Jacques ne pouvait qu'observer son avion s'éloigner sans lui, dans une manœuvre un peu limite, sans aucun moyen de se faire comprendre.
Plein gaz, l'avion se met à rouler. Il roule et accélère avec peine dans le montée.
À mi- piste, il roule toujours. Idem au trois quarts de la piste. En bout de piste enfin, il s'élève lourdement et reste cabré en montée.
Jacques a le cœur bien serré et pense ; « Mon avion, mon avion. Seigneur Jésus » !
Et Caramba, devant, c'est la ligne à haute tension. L'avion s’emmêle dans les câbles, provoque une grosse boule de feu et des arcs électriques puis tombe parterre illico.
Le désastre.
Jacques saute dans sa Renault 4 L pour secourir au plus vite ses 4 infortunés touristes.
Il découvre l'avion 3 kms plus loin, les ailes pendantes dans un champ de bananier, la porte latérale est largement ouverte, les passagers sont sortis en se frottant les manches et en se rajustant les vêtements, ils projettent même de récupérer leurs bagages. Ce qui fut fait sans bousculade.
Aucun n'est blessé, ils sont juste un peu pâles et muets.
Une fois réunis avec leur barda, à quelques mètres de l'épave, celle-ci, brusquement prend feu. Décidément Lucifer n'est jamais loin !
Un immense incendie détruit entièrement le Cherokee. En quelques minutes, il n'existe plus.
« C’est un miracle quand même. » nous a confié Jacques 20 ans plus tard !
Chapitre 3
Le Cessna Push-Pull.
Les chapitres 1 et 2 représentent le tiers ou le quart du carnet de vol complet de Jacques Fievet. Soit, les heures de vol en Piper Cherokee.
Par la suite, le missionnaire devait s'équiper d'un Cessna Push-Pull ; un avion plus performant qui pouvait emporter 5 passagers ou un bon 700 kg de charge utile, avec une belle autonomie de carburant, en sus.
C'était un avion un peu trop sophistiqué pour être un bon broussard. Le moteur arrière avait tendance à surchauffer et son hélice pagayait avec ardeur dans l'air turbulent du moteur avant...
Ce type de Cessna avait été conçu avec un train d'atterrissage fixe.
Pour gagner quelques nœuds de milles nautiques en performance, l'avion à train fixe fut modifié en version train rentrant.
C'était une mécanique astucieuse, quoique, faite de quelques disgracieuses torsions et d'escamotages à clapets qui demandaient beaucoup d'attention au chef mécanicien, à savoir au Père Jacques tant et si bien qu'un jour « chez nous, » à Kalima, à la « Symétain/Sominki, d'autrefois, où il lui arrivait de faire escale et le plein de carburant, les manches retroussées et le cheveux en bataille par les problèmes cumulés du Push Pull, il s'exclama tout de go d’une voix forte et assortie de quelques gros mots du Condroz, pour dire : « Seigneur Jésus ! Si seulement j'avais fait un peu plus de mécanique et un peu moins de théologie Je n'en serais pas là… »
C'était tout lui.
De même qu’en racontant les 3 miracles, Jacques me confia : « Ça, André, si ce ne sont pas des miracles, je n'y crois plus, moi non plus.... ». Encore Lui !
Après quelques années de vols en Push-Pull, avec parfois «le train sorti » pour la sécurité... vint le Parténavia.
Un bimoteur classique à train fixe d'une robuste construction italienne, équipé de deux bons moteurs Lycoming de 210 CV avec hélices à pas variables.
C’était un avion de brousse qui fit merveille pendant les vingt ans de travail aérien qui suivirent l'épisode du Cherokee. Six personnes à bord ou une bonne charge utile et une bonne autonomie. L'avion idéal !
En Parténavia, Jacques fit aussi la découverte des premiers GPS. Ce formidable et nouvel instrument lui permit de faire des percées, en toute sécurité, à travers les stratus matinaux qui traînent parfois dans le Maniema, et confirmait à tout moment sa position avec une surprenante exactitude.
C'était une grande aide à la navigation que Jacques et ses passagers apprécièrent immensément.
Vint 1994.
Le Kivu connut des nouveaux et tragiques tumultes. Des soldats français campaient dans le hangar des Pères à Kavumu. C'était les gaillards disciplinés et corrects de l'incompréhensible opération Turquoise.
Pour les français, le Parténavia et son équipage ... se firent fermement priés de ramener quelques pesantes cargaisons de victuailles de Goma, à 20 minutes de vol par-dessus le Lac Kivu.
Ces missions étaient franchement dérangeantes pour nos vaillants missionnaires car les africains des alentours ne manquaient pas d'y voir quelques sombres embrouilleries et partis pris.
Heureusement, le Père Denis Esnault avait pris le relais dans la SAM (Service Aérien Missionnaire) = Air Jacques de sorte que Jacques, l'âge venant, put prendre congé sur les bords de la Meuse.
André de Failly