Association familiale van Outryve dYdewalle Familievereniging

Né en 1904 au Château de La Bruyère, Jean-Marie de Meester (dom Emmanuel) est le deuxième fils d’Emmanuel de Meester (1866-1943) et de Marie-Thérèse van Outryve d’Ydewalle (1875-1950).
I
l rejoint comme son frère Antoine (dom Jean-Baptiste) la communauté bénédictine de la jeune Abbaye de St. André. 
Envoyé en 1950 en mission en Inde, le Père Emmanuel y sera étroitement associé à la fondation du monastère d'Asirvanam.
Soucieux de retracer l’histoire de cette première fondation bénédictine en Inde, le Père Emmanuel rédigea un récit dont les premières pages évoquent les années précédant son départ en mission.
Nous en publions quelques extraits.


Enfance
Je suis né à St. André à quelques minutes de l’Abbaye, chez ma grand-mère d’Ydewalle où mes parents avaient l’habitude de passer les mois d’été et où j’ai passé les plus beaux jours de mon enfance.3LD3

Mon père, Emmanuel de Meester, avait épousé Marie Thérèse van Outryve d’Ydewalle. Ils eurent quatre fils dont je fus le deuxième.
Mon père était originaire d’Anvers où il fut longtemps représentant (député) puis sénateur. Il prit une part active à la défense des écoles catholiques menacées par les libéraux.
Nous passions les mois d’hiver à Anvers et l’été à St. André.
C’est ainsi que je me souviens des débuts de l’Abbaye, de la première chapelle qui est actuellement la salle du chapitre, de la bénédiction de l’église actuelle et de la bénédiction de l’abbé Théodore Nève en 1910.

1914-18
En août 1914 se déchaina la Première Guerre Mondiale. Je vois encore défiler les soldats belges en retraite, mêlés aux soldats anglais, et se repliant sur l’Yser où ils devaient résister jusqu’à la grande offensive de 1918. En octobre 1914 toute ma famille se réfugia d’abord en Hollande (pays neutre) puis en Angleterre où les moines de Ramsgate ne tardèrent pas à ouvrir un petit collège pour les enfants des réfugiés belges. C’est là que j’allais à l’école pour la première fois.

Mon père, resté au pays, parvenait parfois à passer clandestinement en Hollande d’où il venait en Angleterre nous voir avant de se rendre en France libre, faire un rapport au gouvernement belge sur la situation en pays occupé. C’est à Ramsgate que j’ai reçu le sacrement de la confirmation.
En 1915, ayant été mis sur les listes des otages à Anvers, mon père ne pouvait plus se déplacer; aussi ma mère décida-t-elle de nous faire rentrer en Belgique via la Hollande.
En 1917 mon père fut arrêté par les Allemands et mis en prison où il passa plusieurs mois. Il est curieux de constater que 25 ans plus tard, jour pour jour, je fus arrêté par la gestapo et passai un an dans les prisons allemandes. En octobre 1918 j’assistai à la débâcle des troupes allemandes fuyant les troupes alliées.

A notre retour en Belgique, j’étais entré au collège Notre-Dame à Anvers, tenu par les jésuites. Je devais y rester jusqu’à la Poésie, pour terminer ensuite à l’école abbatiale de St. André après la Libération.
Je me rappelle notamment avoir aidé les jésuites à évacuer le collège réquisitionné par les Allemands et poussant une charrette chargée de caisses et de pupitres pour réaménager tout cela, tant bien que mal, dans des maisons particulières.

DE LA10 La Bruyere Loppem vers1900 LDMais me voici donc à St. André, terminant mes études à l’école abbatiale, comme externe, logeant chez ma grand-mère.
Je garde un souvenir inoubliable de ma vie à Saint-André. Ma grand-mère, devenue veuve très tôt, était une femme exceptionnelle, d’une grande finesse d’éducation et profondément religieuse. Elle était en quelque sorte la mère du monastère. Pendant l’Occupation elle avait hébergé le Père Abbé et quelques moines, tandis qu’elle-même, expulsée de son château (ci-contre 'La Bruyère'), s’était réfugiée chez un de ses fils.
Je passais toutes mes vacances à chasser dans les bois et à faire des promenades à cheval. Avec nos cousins nous formions une bande fort nombreuse et très joyeuse.
Cependant il y avait les études, cette fois à l’école abbatiale où je me plaisais d’autant plus que j’ai détesté les jésuites et leur grand collège d’Anvers.
J’ai terminé deuxième de ma classe et je suis entré au monastère à l’âge de 18 ans, le 21 décembre 1920, en la fête de St. Thomas, apôtre de l’Inde. Faut-il y voir une simple coïncidence ?

Ma vocation
Ma vocation a certes été préparée par des circonstances providentielles : contacts intimes avec l’abbaye depuis ma plus tendre enfance, première communion dans la chapelle du château de ma grand-mère, un oncle bénédictin à Maredsous.
Tout cela a sans doute préparé ma vocation, mais je n’en étais pas conscient.
3LD640pcMa vocation est venue en un instant, pendant la grand-messe le 8 septembre 1918, au village de Ramsdonck, résidence de ma grand-mère de Meester (décédée en Angleterre où elle s’était réfugiée) et où nous passions les vacances pendant l’Occupation (ci-contre, Château de Ramsdonck).
Je ne songeais nullement à la vie monastique. Le matin avant la messe, le fils du jardinier était venu faire ses adieux au château avant d’entrer au noviciat des Pères de Scheut. Alors, pendant la messe, je me suis dit : moi, fils du château, quel sens vais-je donner à ma vie ? Les honneurs, l’argent, les plaisirs des sens ? Tout cela ne vaut pas la peine, tout cela passera. Alors pourquoi ne pas se faire moine ? Cela au moins restera et aura de la valeur. Je me suis donc décidé à me faire moine, et je n’ai pas changé d’avis depuis.

Chose curieuse, le fils du jardinier, dont ma grand-mère avait payé les études, n’est pas resté au couvent, et c’est moi qui ai pris sa place en entrant à Saint-André. (…) Je suis entré à St. André en même temps que mon cousin le Père Gilbert (Christian d’Ydewalle).
Je dois dire que depuis mon entrée et pendant l’année qui suivit, je fus très malheureux. Au point que le Père Abbé décida de me faire terminer mon noviciat à Maredsous sous un autre Maître des novices, un homme à qui je dois une grande reconnaissance.

3 Abbaye St Andre 1910 OKCependant les mois passaient et je ne me sentais pas plus à l’aise. Le Maître des novices me proposa à diverses reprises de retourner dans le monde, mais tout en étant très malheureux, je sentais que c’était là que je devais être et refusais de quitter la vie monastique. 
Ce n’est qu’au cours de mes études de philosophie, faites à Maredsous, que les choses commencèrent à aller mieux. 
Ce qui me remit tout-à-fait d’aplomb, ce fut mon année de service militaire (1926-27). Je faisais partie d’une compagnie de brancardiers composée de séminaristes et de religieux. Le soir, l’aumônier nous donnait des cours de théologie.

J’ai pendant ce temps beaucoup lu et acquis des connaissances sur l’œcuménisme. J’ai été envoyé à Rome pour y faire un doctorat en théologie au Collège St. Anselme. 

(…) J’ai passé près de 4 ans et demi à Rome, profitant de la présence de mon oncle le Père Placide (lien Wikipedia), un vieux romain qui me fit visiter toutes les richesses et curiosités de cette ville.

(…) Le 10 août, en même temps que cinq confrères, je fus ordonné prêtre par Mgr. Namèche, évêque du Luxembourg, en l’église abbatiale de St. André. Un prêtre anglican ceylanais était présent à notre ordination. Je conçus alors le désir de me consacrer à l’apostolat en Inde. Ce désir disparut depuis lors, tandis que je trouvais mes activités au sein du monastère. 

                                       Abbaye de Saint-André (1910)

Dès la fin de mes études, je fus appelé à enseigner la philosophie au cléricat qui avait été ramené de Maredsous à St. André. Je ne devais pas tarder à assumer également des cours de théologie en compagnie notamment du Père Théodore Guesquière. J’eus parmi mes premiers élèves, les premiers moines polonais, des Portugais et les clercs de Steenbrugge. 
Parmi eux, deux sont devenus respectivement Abbés de Steenbrugge et de Termonde. 
En même temps que professeur de philosophie, j’avais été nommé hôtelier. C’est ainsi que je fus appelé à prêcher beaucoup de retraites, surtout aux jeunes gens. Je continuai cette activité tant que je fus à Saint-André, c’est-à-dire jusqu’à ma captivité et après.

Essor de l’Abbaye
C’était la période la plus florissante de l’Abbaye qui vit l’essor de l’activité au Congo, l’entrée au monastère de dom Lou, diplomate chinois et ancien premier ministre de Chine, et enfin la fondation d’un monastère en Chine. Le mouvement liturgique était en plein essor, les missels de St. André, tous dérivés du missel de dom Gaspar Lefèvre, se répandaient dans le monde entier, et amenaient à Saint-André des visiteurs de toutes les nations.
Tout cela entretenait les aspirations apostoliques de l’Abbaye. Il ne faut pas oublier cependant que ces aspirations allaient de pair avec le désir de voir l’Ordre Bénédictin implanter des monastères dans tous les pays du monde. St. André, qui avait été fondé pour restaurer les monastères au Brésil et avait entrepris l’évangélisation du Katanga au Congo belge, n’a jamais oublié que le but de ses activités apostoliques était d’établir la vie monastique dans les pays neufs.
C’est ainsi que se firent les fondations de Chine et de Pologne, et que se fera celle de l’Inde.

1940
1940, la vraie guerre éclata.
En 1939 l’horizon politique s’assombrit, la guerre menaçait l’Europe et la Belgique. 
En octobre, je fus mobilisé en qualité d’aumônier militaire, tandis que de nombreux moines étaient appelés sous les armes. La Belgique avait adopté une attitude d’indépendance qui impliquait la défense du territoire contre tout assaillant, de quelque côté qu’il se présente. C’est ainsi qu’au cours de l’hiver, mon régiment dut se déplacer plusieurs fois en raison des menaces qui pesaient sur le territoire. 
Lorsque le 10 mai 1940, la vraie guerre éclata, je me trouvais près de Louvain. J’ai dès ce premier jour assisté au bombardement de nos lignes et aidé à dégager des ruines, les blessés ou tués. 
Je me trouvais par hasard au cimetière d’Herent pour identifier un soldat tué, lorsque les bombes commencèrent à tomber tout autour de nous. L’infirmier et moi-même, nous nous réfugiâmes sous la table de la morgue avec notre mort au-dessus de nous.
Malgré l’arrivée des Anglais, nous dûmes reculer et nous replier tout au cours des 18 jours que dura la résistance des troupes belges. Je parcourais les lignes, encourageant les soldats, confessant quelques-uns, leur apportant la communion, allant visiter les blessés et les mourants, jusqu’aux premières lignes. Le 26 mai 1940 nous dûmes nous rendre aux allemands, formant un triste convoi de prisonniers, pour aller vers l’arrière à travers les lignes allemandes encore sous le feu de notre artillerie. 
On nous fit loger dans une église avec de très nombreux prisonniers. Les jours suivants, après de longues marches, on nous fit monter dans des wagons à bestiaux et en route vers l’Allemagne où nous fûmes dirigés vers un camp de prisonniers à Eichtad, en Bavière. Comme le ravitaillement n’était pas organisé, nous avons souffert de la faim. 
Après quelques mois, les Allemands libéraient les Belges d’origine flamande et gardèrent les wallons jusqu’à la fin de la guerre.
Libéré le 15 août, je rentrai à l’Abbaye où la vie reprit peu à peu son cours jusqu’au moment où les Allemands réquisitionnèrent tout le monastère. 
Nous nous réfugiâmes chez les Bénédictines et dans des maisons particulières.

Déportation en Allemagne
Le 13 février 1943 je fus arrêté par la Gestapo, emprisonné à Gand et jugé à Bruges où je fus condamné à 20 mois de travaux forcés à faire en Allemagne. Je connus toutes les misères que les nazis faisaient peser sur l’Europe. Après avoir passé par six prisons allemandes, je fus affecté à un camp (Wittlich), comptant 2.000 prisonniers. Les prisonniers politiques étaient mêlés aux prisonniers de droit commun. Mon travail consistait à faire du contre-plaqué (play wood). On se levait à 4h du matin. Après des appels interminables debout dans le froid, nous étions conduits sous la garde de soldats armés jusqu’à l’usine où nous devions travailler 12 heures, très peu nourris. Rentrés au camp, nous étions enfermés dans nos baraques. Comme prêtre je n’ai jamais été autorisé à dire la messe sinon une fois lorsque l’aumônier est venu m’annoncer le décès de mon père. Nous pouvions cependant assister le dimanche à la messe.
Avec deux amis dont l’un était prêtre et partageait mon lit, ainsi qu’un coiffeur communiste, nous avions formé une petite association d’entraide. Ma captivité m’a mis en contact avec une très misérable humanité, et j’ai été amené à fréquenter toutes sortes d’individus peu recommandables.
Les démarches entreprises en Belgique par mon frère aboutirent à me faire libérer après un an de captivité. Rentré en Belgique, je me suis enrôlé dans l’Armée qui a pris part, avec les Canadiens, pendant deux mois, aux combats de la Libération. Mon retour à l’Abbaye le 1er novembre 1945, mit fin pour moi à la grande parenthèse de la guerre.

Après-guerre
Je garde peu de souvenirs de cet après-guerre sinon que mon ministère à l’hôtellerie s’est encore développé.
En 1950 j’eus la peine de perdre ma mère qui s’est éteinte le 15 août en la fête de la Vierge pour qui elle avait une grande dévotion.
En janvier 1951 mon oncle dom Placide (lien Wikipedia) fut rappelé à Dieu.

Ainsi par la rupture de ces liens, Dieu voulut-il sans doute me préparer aux sacrifices et renoncements inhérents à la vie monastique.

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Père Emmanuel, Père Abbé Nève, Père Abbé co-adjuteur Ghesquière

3LDAsirvanamLe récit de Dom Emmanuel de Meester se poursuit dans le cadre de son engagement missionnaire en Inde, où il contribue à la fondation du premier monastère bénédictin du pays.

Le site Internet du monastère d’Asirvanam (lien) témoigne du rayonnement actuel de cette fondation, qui compte une cinquantaine de moines et a essaimé à son tour au travers de trois monastères bénédictins établis dans divers Etats indiens.

Rappelons que le Bulletin n°30 avait consacré un article à son frère:
'Dom Jean-Baptiste (Antoine) de Meester, le Tiste’ (lien)

http://dydewalle.be/index.php/actualites/166-dom-jean-baptiste-antoine-de-meester-le-tiste

3LD440pcNous conservons quelques archives photos concernant le Père Emmanuel, notamment lorsqu'il rendit visite à son frère missionnaire au Katanga ainsi qu'à ses cousins Michel et Marie-Ghislaine d'Ydewalle à Bukavu (ci-contre).

 

 

 

 

 

 

 

C'est probablement lors de ce séjour au Congo qu'il fit cadeau à son frère d'une composition signée de sa main:

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