Cet article est proposé en complément à une autre contribution de Maximilien de Nève, qui peut être consulté au départ de ce lien.
L’observation des colonies et les échanges avec les apiculteurs de notre section locale lors de petites conférences techniques a réellement modifié mon regard sur la nature environnante.
A l’époque, un apiculteur novice était souvent lâché seul avec sa première colonie car supposé avoir bien assimilé les cours théoriques. Malgré l’un ou l’autre ouvrage sur la question, j’avoue avoir un peu ramé pour m’en sortir vaille que vaille sans perdre cette première colonie car, souvent les novices en la matière n’étaient pas secondés.
Si nous avions été séduits par ces belles grandes plaines ondulant autour du village, la vision paysagère s’est transformée car ces plaines devenaient pour moi de grands déserts de biodiversité. Avec les remembrements, tous les bocages et haies mitoyennes ont disparu.
Heureusement, Gottechain est un village relativement bien arboré et les abeilles doivent parcourir plusieurs centaines de mètres avant d’atteindre les cultures traitées chimiquement.
J’ai transformé une vingtaine d’ares de la prairie des moutons, en petit bois d’arbres mellifères (mérisiers, châtaigniers, saules marsault) pour compléter la liste d’arbres et arbustes mellifères de notre jardin (érables divers, tilleuls, fruitiers, aubépines, néfliers, alisier, viornes, etc..).
En effet, il faut savoir que les abeilles se développent au printemps et font leur miellée (récolte importante de nectar et pollen) sur les arbres et arbustes mellifères (ou sur les grandes cultures de type colza/tournesol ou dans les vergers industriels). Les fleurs et autres plantes mellifères servent comme appoint dans les jonctions entre ces floraisons d’arbres.
Après l’hiver, les saules marsault mâle (pour le pollen) et le cornus mas et le saule marsault femelle pour le nectar sont extrêmement utiles, le noisetier fleurissant souvent trop tôt. Après suivent les floraisons des autres saules, celles des fruitiers domestiques et sauvages (y inclus aubépines et sureaux) et des érables, celles des acacias et des tilleuls pour terminer avec celles des châtaigniers (début juillet). Ensuite, nous avons, dans le jargon des apiculteurs, un « trou de miellée », c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’arbres mellifères en fleurs, du moins parmi les espèces locales. Une exception : les landes à bruyères qui fleurissent en fin d’été.
Certains parmi vous me posent souvent les questions: qu’en est-il de la disparition des abeilles ?
Cette question fait de plus en plus débat tant au sein du monde des apiculteurs qu’au sein du monde scientifique et politique car les causes sont multifactorielles et principalement anthropiques, c’est-à-dire relatives aux activités humaines (pollutions, pesticides, perte de biodiversité, etc…).
Ressources alimentaires des abeilles: Les abeilles ont besoin d’une diversité florale comme nous avons besoin d’une diversité de fruits et légumes pour notre équilibre alimentaire.
A vouloir tout rationnaliser et intensifier à l’extrême, aussi bien au niveau agricole, forestier ou paysager, la diversité florale sauvage s’est fortement amenuisée et les traitements chimiques ont explosé. Une étude publiée en octobre 2017 par 6 scientifiques allemands qui ont suivi l’évolution de 63 sites protégés en Allemagne pendant 27 ans, montre qu’ils ont perdu 76% de la masse des insectes volants. C’est-à-dire que toute la chaîne écosystémique est en train de se dégrader inexorablement.
Le changement climatique intervient également dans le processus de dépérissement des colonies : en effet, les jeunes abeilles nées en septembre – octobre (appelées abeilles d’hiver) sont censées rester confinées dans la ruche à partir de novembre jusque fin mars. Ainsi, elles n’entament pas leur « capital vie » jusqu’au printemps où elles sont indispensables pour redévelopper la colonie. Si le temps est trop doux en décembre/janvier, ces abeilles d’hiver sortent et s’épuisent à chercher des sources de pollen et de nectar inexistantes.
Elles consomment non seulement leur « capital énergie » mais vont puiser dans les réserves de la colonie pour compenser les pertes énergétiques. Au mois de mars, ces colonies ne sont plus aussi dynamiques qu’elles devrait l’être en temps normal et elles ont épuisé anormalement leurs réserves nécessaires pour nourrir les jeunes larves du couvain et pour leur maintenir une température suffisante. Avec un printemps froid et humide, les colonies peuvent s’effondrer.
Parasites et virus: Depuis les années ’80 est apparu un petit prédateur asiatique de l’abeille, appelé varroa destructor, qui se reproduit dans les alvéoles des abeilles (sur les larves); Il se nourrit de la matière grasse des abeilles et introduit une série de virus qu’il transporte. Il se reproduit si vite qu’il affaiblit considérablement les colonies, surtout en fin d’été.
Nos abeilles européennes ne sont pas adaptées à ce parasite, mais depuis quelques années, sont apparues des lignées d’abeilles qui deviennent résistantes à ce parasite. Elles font l’objet de recherche et de développement (AristaBee Research) que vous pouvez suivre par ce lien.
Depuis cette année-ci (2018), je participe au comité de suivi du projet de développement d’AristaBee Research Belgium qui développe des lignées d’abeilles résistantes au varroa.
Tout récemment, l’Univresité de Gand vient de découvrir le gène de résistance au varroa.
Pesticides: Parmi les pesticides, les médias ont souvent parlé des néonicotinoïdes qui sont des neurotoxiques systémiques (absorbés par la plante toute entière, des racines jusqu’aux fleurs et fruits). En mangeant du pain (céréales) et du sucre (betteraves), nous ingurgitons aussi à petites doses depuis deux décennies ces neurotoxiques. Faut-il s’étonner dès lors de voir apparaître de plus en plus de maladies neurologiques chez l’espèce humaine ? Les fongicides (bactéricides) systémiques appliqués sur les cultures (principalement fruitières – pommes, poires, fraises et vignes - et pommes de terre) détruisent la flore bactérienne des abeilles et, en mélange aux insecticides, ont un effet catalyseur mortel sur les abeilles.
Le principe de précaution n’est pas suffisamment pris en considération.
Conduite des colonies par les apiculteurs: Afin de balayer aussi devant notre porte d’apiculteurs, il faut aussi ajouter que l’intensification de cette activité pour maximiser la production de miel au détriment du bien-être des colonies contribue aussi aux mortalités. Par exemple, extraire toutes les réserves de miel pour les remplacer par un sirop de sucre de sucre inverti ne laisse pas aux abeilles une nourriture variée en minéraux et autres apports naturels pour leur permettre de bien passer l’hiver.
Il faut savoir que la moyenne des pertes de colonies tourne autour des 30% en Belgique et des 40% dans le Brabant Wallon. Des pertes normales sont estimées aux alentours de 5% dans les régions les mieux protégées. Personnellement, de 1993 à 2007, je n’ai perdu aucune colonie en hiver et ensuite j’ai perdu 3 colonies (sur 12) en 2007, 1 colonie en 2017 et 2 colonies en 2018 (depuis qu’un nouvel hangar de stockage de pommes de terre s’est installé à 700 m de notre rucher). Quant à la production, celle-ci varie très fortement en Belgique : d’une année à l’autre elle peut varier de 8 kg à 50 kg par ruche. Il faut une combinaison simultanée de 3 facteurs: colonie populeuse et dynamique, floraisons abondantes avec un temps chaud, humide et ensoleillé. La moyenne de production par ruche sur les 10 dernières années en Brabant Wallon est de +/- 25kg de miel (dont 10 au printemps et 15 en été).
En 2018, nos colonies ont produit en moyenne 45kg de miel par ruche, mais je leur ai laissé 5kg à chacune d’elles pour mieux passer l’hiver. Ce fut la meilleure année depuis que nous avons des ruches. Cette année 2019, avec une météo très chaotique, ne sera pas très brillante en quantité de miel.
Maximilien de Nève de Roden