Agnès de Vrière, épouse de Pierre Kervyn de Marcke ten Driessche, maudite par son père Etienne de Vrière sur son lit d’agonie, une vieille querelle de famille aujourd’hui presque oubliée.
Deux protagonistes de cette rubrique ont déjà fait l’objet de notices dans notre bulletin familial. Etienne de Vrière, que la rumeur populaire beernemoise avait rendu responsable de l’assassinat d’Henry d’Udekem d’Acoz, le 25 mai 1915, alors que les vrais coupables, deux officiers allemands, furent jugés en juillet 1922 par la Cour d'Assises de Flandre Occidentale, présidée par … Pierre Kervyn, le propre gendre d’Etienne de Vrière !
Mais revenons à notre nouvelle rubrique …
Nous sommes en 1936 au château de Bloemendaele où réside Etienne de Vrière, bourgmestre de Beernem. Rappelons qu’il aura été marié trois fois, ses deux premières unions ayant chacune été suivie d'un décès précoce.
Sa première épouse, Adélaïde van Reynegom de Buzet, décéda en 1900 après lui avoir donné trois filles : Maria, épouse d'André d'Ydewalle, auteur des branches Beernem, de Failly, Jabbeke et Verhaegen ; Agnès, épouse de Pierre Kervyn de Marcke ten Driessche et Isabelle, la troisième, qui se fit carmélite.
Vint ensuite Anaïs Otto de Mentock (1856-1924) pour terminer par Marguerite Ysebrant de Lendonck (1875-1948), la deus ex-machina de notre histoire familiale.
Vers les années 1954, retraçant ses souvenirs de jeunesse, mon père Thierry consacra un long chapitre à propos de la troisième femme de son grand-père maternel ...
Il faut savoir que ma mère et mes tantes n'avaient accepté la 3ème femme de leur père que comme un mal nécessaire et que Marguerite Ysenbrant (ci-contre) n'avait rien fait depuis pour en assurer la conquête.
Absolument dépourvue de ressources tant au figuré qu'au point de vue matériel, c'était une femme intrigante, égoïste et gaffeuse ; comme de juste, on lui reprochait surtout d'avoir dilapidé une bonne part de la fortune du grand-père en jouant stupidement en bourse ; toujours à cours d'argent, elle s'était rendue odieuse aussi en faisant vendre par sa soeur O'Breen des objets d'art qu'elle volait à Beernem.
Le comble est qu'elle se vantait sottement des prix faits comme s'il y avait lieu de s'étonner que des porcelaines anciennes puissent se vendre aussi cher !
Sa soeur Carole (ci-dessous) qui vivait elle aussi de sac et de corde et de trente-six mille expédients douteux, pratiquait à cette époque le métier d'antiquaire et ce petit trafic n'en était que plus odieux. Dans de telles conditions, il n'était que normal que des mesures soient prises par les futures héritières du grand-père pour éviter de nouveaux abus de la mafia Ysenbrant.
Hélas, sous la conduite procédurière du juge Kervyn, notre oncle, et de Jean l'avocat, son fils, et sous la pression hargneuse et méchante de leur épouse et mère, la tante Agnès qu'aux III Rois on appelait "la teigne", on a marché un peu fort.
Qu'on en juge ...
Un beau matin, tandis que le grand-père agonisant sortait à peine d'une longue nuit d'insomnie et de cauchemar, sans frapper, le Juge, l'Avocat et l'Huissier en titre, nous sommes tous entrés (à 10 !) comme des voleurs dans sa chambre pour apposer, sans explication ni préambule d'aucune sorte, les scellés sur son coffre. Il faut savoir que celui-ci se trouvait au pied du lit du grand-père ; le moribond du même coup retrouva tous ses esprits et piqua une colère jupitérienne telle qu'il n'en avait jamais eue de toute sa vie.
Ayant repéré sa fille Agnès qu'il foudroya du regard, je l'entends encore implorer Marguerite avec des imprécations et des larmes pour qu'elle lui donne son revolver. Ne l'obtenant pas, il saisit alors une de ses cannes, la retourna et s'allongeant tout ce qu'il put, il essaya de tirer à lui l'engin qui reposait sur sa table ; n'y réussissant pas davantage, il se redressa sur son séant et pointant vers sa fille son bâton tremblant, menaçant et vengeur il lui lança avec des sanglots dans la voix : "Agnès, je te maudis, toi et tes enfants jusqu'à la troisième génération !"
Cette scène atroce m'avait profondément écoeuré et d'y avoir assisté, même passivement, me couvrait de honte. Quand j'en fis part à mon père, il jugea très sévèrement les Kervyn et nous fit tout de suite comprendre que Marguerite était en droit - pour le moins - d'attendre de nous des excuses. Ce n'est pas qu'il la jugeait avec plus d’indulgence que nous tous, mais il était d'avis que malgré tous les torts évidents de Marguerite, absolument rien ne pouvait justifier cet affront qui, en présence du grand-père moribond, était un vrai sacrilège.
Un peu penauds, Hubert et moi nous nous exécutions dès le lendemain et depuis ce jour, il va de soi que nos rapports avec les Kervyn qui déjà n'avaient jamais été cordiaux, se gâtèrent tout à fait. On prit du même coup pour de la complicité ce qui n'était de notre part que de l'élémentaire correction, sans être dupes pour autant des agissements de Marguerite.
Nous ne suivions en cela que l'attitude observée depuis toujours par mon père et si en définitive le fameux héritage n'a pas été perdu pour tout le monde, c'est bien à ce dernier qu'on le doit.
En effet, un testament douteux arraché à un moribond délirant par un notaire véreux de Tielt attribuait à Marguerite le maximum légal et si elle n'en a pas profité, c'est tout simplement que vis-à-vis de mon père cela lui était impossible. Elle se contenta finalement de la maison de Bruxelles et de quelques centaines de mille francs, représentant l'équivalent d'une modeste rente viagère.
Les Kervyn ne lui en surent jamais gré et l'affaire étant liquidée, ils prirent congé d'elle une fois pour toute avec la dernière grossièreté tandis que de notre côté, nous avons toujours continué de la voir sans pour autant la rechercher et c'était en somme autant par pitié que par simple convenance.
Elle fit quelques séjours aux III Rois chez Hubert et venait aussi nous faire visite à Saint-André, toujours aussi gaffeuse, envahissante et bête que par le passé, ce qui ne nous empêchait tout de même pas de l'accueillir par charité avec tant d'empressement qu'elle était chaque fois émue jusqu'aux larmes.
Revenons au grand-père. Il ne survécut que très peu de temps à la scène des scellés. Sa fille Agnès refusa d'assister aux funérailles et resta de faction au château pour éviter, disait-elle, que la famille Ysenbrant ne le pille. Je ressens encore aujourd'hui notre surprise à tous et notre dégoût lorsque rentrant de l'enterrement, nous la trouvâmes endormie, le nez entre les genoux sur un escabeau planté dans le hall à côté d'une vitrine d'argenteries, scellée comme toutes les autres.
C'est sur cette image abominable que s'achèvent pratiquement mes souvenirs de Bloemendaele ...
Septembre 2018
Alors que la descendance Kervyn-de Vrière a aujourd’hui survécu sans déroger aux foudres de l’aïeul agonisant, une actualité récente nous a brusquement replongés dans le passé.
En effet, en septembre 2018 s'est tenue une vente aux enchères via le Web où étaient mis en vente des tableaux peints par une certaine Zélie Ardrighetti, artiste peintre de son état et familière de la maison. On y retrouve notamment un tableau de la tante carmélite, Isabelle de Vrière (ci-contre), peinte en 1911. Estimé à 200-300 €, le tableau aurait été vendu à 120 €, ce qui n'est pas vraiment à l'honneur de notre sainte tante carmélite !
Et une surprise fort inattendue s’y ajoute : au dos du tableau était collé un texte manuscrit dont le contenu, assez malveillant à l'égard de notre sainte tante, est propre à réveiller d’anciennes rancoeurs.
Le voici reproduit, tel quel :
Isabelle de Vrière
Religieuse Carmélite entrée au Carmel le 3 mai 1909 qui d'accord avec une fourberie incroyable avec son beau-frère André d'Ydewalle et sa belle-mère Marguerite Ysebrant calomnia sa soeur Agnès Kervyn la poursuivit de sa méchanceté détournant de l'argent recella travailla à la faire déshériter par son Père pour s'approprier avec les autres sa part d'héritage chassant la fillette hors de la maison de son Père au moment de sa mort - Château de Bloemendaele 14 novembre 1936
Abusant de sa position de Prieure du Carmel à Ypres - Par 3 fois rappelée à l'ordre par ordre de l'Evêque de Bruges, elle s'en ficha - Les lettres et écrits prouvant ces faits se trouvent à l'Evêché.
Elle scandalisa profondément la population de Beernem qui en fut témoin
Sur ordre de l'Evêque de prendre une attitude conciliante envers sa soeur, elle n'en fit rien.
Que son âme repose en paix à tout péché Miséricorde
Décembre 1937
Dieu, que c’est triste une famille sans histoire !
Nicolas d’Ydewalle
1 Voir à ce sujet l’excellent texte de José Kervyn à propos de Bloemendaele et des de Vrière, paru dans le bulletin n° 22 de juin 2009 (lien),
ainsi que mon article « Henry d’Udekem d’Acoz (1870-1915) ou l’histoire inachevée autour d’un sombre assassinat », paru en octobre 2017
dans le bulletin n° 27 (lien).
2 Carola Ysebrant de Lendonck (1882-1957) avait épousé Georges O'Breen (1875-1954), un ingénieur agronome.
3 En 1949, Pierre Kervyn de Marcke ten Driessche devint président du Tribunal de 1ère Instance de Bruges.
4 Son frère aîné.
5 Les sites de vente refusant habituellement de révéler le nom des vendeurs et acheteurs, on suppose que la vente a eu lieu après le décès
de notre cousin José Kervyn, le 2 avril 2018.