Eté 1961, une grande curiosité s'empare des habitués du Krolleput : il va s'y tourner un film ! Un film de cape et d'épée, apprend-on, "La Salamandre d'Or" dont certains extérieurs seront également tournés dans le vieux Bruges.
Le thème ? Le roi de France François Ier a été capturé par Charles Quint lors de la bataille de Pavie, en février 1525. Louise de Savoie, mère du roi, charge le chevalier Antoine de Montpezat, fidèle compagnon de François Ier, de rassembler la rançon exigée en échange de la liberté de son fils et de se rendre à Madrid pour la remettre à Charles Quint. Montpezat va devoir déjouer moult pièges tendus par un vilain seigneur qui cherche à s’emparer du trône. Comme il se doit, la finale se clôture en beauté : Antoine va épouser sa bien-aimée, elle-même fille de ce méchant seigneur …
Les protagonistes ? Jean-Claude Pascal (Montpezat), genre bellâtre qui s'évertuait à crisper sa lèvre supérieure pour faire apparaître une denture Pepsodent à chaque fois qu'il souriait ; Valérie Lagrange (fille du méchant seigneur), dotée de certains avantages de pile comme de face, surtout de face, telle une Brigitte Bardot en herbe !
Et le Krolleput de connaître une certaine affluence de nageurs-cinéphiles. Le temps passe, on tourne quelques scènes de chevauchées. Puis tout à coup, grosse déception lorsqu'on annonce que tous sont priés de vider les lieux car, dans la scène suivante, Valérie Lagrange va se baigner dans le plus simple appareil.
Résignés, tous s'en retournèrent. Tous, sauf un trio d'irréductibles : Eliane de Failly, encore de Brouwer à l'époque ; sa sainte sœur Dicky, restée de Brouwer puisque devenue moniale bénédictine plus tard ; votre serviteur, dix-neuf ans tout juste. Bien vite, un plan de bataille fut dressé : nous irions nous dissimuler derrière les buissons, de l'autre côté de l'étang, pour espérer pouvoir admirer la pucelle en tenue d'Eve. Soixante ans se sont écoulés et malgré une mémoire défaillante, je jurerais que c'est Eliane qui eut cette idée lubrique !
Pour immortaliser une scène que nous espérions inédite, j'avais avec moi un Leica équipé d'un téléobjectif suffisamment puissant pour obtenir une bonne image, malgré la distance.
Embusqués, parfaitement invisibles, nous attendîmes avec patience que quelque chose se passe. Et la chose se passa : après avoir laissé tomber négligemment une grande cape noire sur le sable, la belle s'avança dans l'eau, avec grâce et non sans langueur ...
Pour ceux qui ne visualiseraient pas bien la scène, rappelons que la caméra se trouvait sur la plage et filmait donc l'actrice de dos. Pudeur oblige, je crois que dans le film, on ne montre que le haut du dos. Tandis que pour le trio d'en face, le temps qu'elle entre totalement dans l'eau, le spectacle était tout autre. Clic, clac et re-clic, je pris quelques photos que nous pensions croustillantes.
Mal nous en prit ! Quelques jours plus tard, après être allé chercher le film imprimé, je constatai que la scène du bain n'apparaissait sur aucune photo ... rien, schnoll, nada ! Que s'était-il passé ? Dans ma hâte, j'avais tout simplement oublié de régler correctement la parallaxe !
Pour les non-initiés, la correction de la parallaxe consistait à faire coïncider les deux axes de vue, l'un du viseur l'autre de l'objectif, indépendants l'un de l'autre, ceci tenant compte de la focale utilisée et de la distance du sujet.
Il y avait bien des photos du Krolleput mais cadrées sur toute autre chose, les broussailles derrière lesquelles nous nous étions embusqués masquant partiellement la rive d'en face ...
La morale de cette histoire ? Nous étions punis par où nous avions péché ...
PS : Quant à l'origine du mot "Krolleput", par rapport à ce qu'écrit Damien de Failly, je pencherais plutôt vers une origine plus prosaïque, telle que je l'ai gardée en mémoire. "Krolleput" viendrait de "Krollebol", le surnom affectueux donné aux Joseph d'Ydewalle, propriétaires dudit "Krolleput" et dotés d'une chevelure généreusement crollée.
Nicolas d'Ydewalle
Légende des photos
(1) Jean-Claude Pascal et les chevaux au repos après une longue journée de cavalcade.
(2) Le tournage au Krolleput, suivi par quelques spectateurs assidus.
(3) Rhabillée, Valérie Lagrange se sèche les cheveux après sa baignade dans l'étang.
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