Trois frères et une soeur ont à se partager diverses propriétés et châteaux. Le premier est pressé, et se plaint auprès du second de ce que le troisième semble particulièrement indécis.
Tel est l'objet du courrier adressé dans les années 1900 par Stanislas d’Ydewalle (1871-1959) à son frère ainé Emmanuel.
Notre cousin Bertil nous transmet copie de cette missive, qu’il a récemment découverte dans les archives de son grand-père Emmanuel d’Ydewalle.
Mon cher Manu,
Je puis te donner les meilleures nouvelles de Cécile.
On ne pourrait aller mieux qu’elle ne va. Le petit va très bien aussi et commence à se faire entendre.
Tu connais les projets de ma tante Vic. Je croyais qu’André, qui objectait toujours la lourde charge de Beernem, allait maintenant l’accepter avec plaisir. J’ai été ce matin à Saint-André et j’ai été bien déçu de constater que les choses en étaient toujours au même point.
André ne veut pas renoncer à Saint-André et encore moins s’engager pour Beernem. Dès lors que faire?
D’ici à 15 jours je dois commencer les travaux de construction et je ne sais encore si je dois faire grand (définitif) ou du provisoire!
Cette situation est insupportable et il est ridicule de la part d’André de ne pas savoir ce qu’il veut. André une fois fixé, il y aurait peut-être moyen de nous entendre et chacun serait heureux de voir l’avenir assuré, me semble-t-il.
Je prendrais Beernem si c’était libre aujourd’hui, mais installé dans un château bâti par moi, je ne changerai plus de village dans quelques années et surtout pour y rebâtir un second château.
Alors que ferons-nous de Beernem, que nous avons accepté, si André n’en veut pas?
Si d’ici à huit jours, la question n’est pas tranchée, je devrais dans le doute bâtir un grand ; voilà déjà 6 mois que la question est agitée sans résultat ; je ne puis cependant plus attendre, d’ailleurs dans un an nous serions au même point.
Veux-tu Saint-André, alors je bâtirai du définitif et te demanderais d’avoir plus tard ta propriété de Hemptinne. Préfères-tu rester où tu es, alors je reprendrai dans l’avenir Saint-André et bâtirai un provisoire très petit.
Dans ces 2 cas je resterais sur Saint-André et bâtirais chez ma grand-mère, mais la dimension du bâtiment et peut-être la place même de la construction dépendra de l’une de ces 2 solutions.
Mais tant qu’André ne se décide pas, impossible de rien régler !!
Cécile me charge de ses amitiés pour M.J. et pour les enfants ; j’y joins les miennes.
Bien affectueusement à toi.
Stanislas.
Contexte
Charles van Outryve d’Ydewalle (1840-1876) épouse Marie Aronio de Romblay (1843-1926).
Ils ont cinq enfants, dont quatre atteignent l’âge adulte : trois fils – Emmanuel (1868-1954): auteur de la branche Peereboom), Stanislas (1871-1959 : auteur de la branche Tudor) qui rédige la missive dont question ci-dessus, et André (1873-1940, auteur de la branche Beernem) – ainsi qu’une fille, Marie-Thérèse (1875-1950) qui épousera Emmanuel de Meester).
Marie Aronio, devenue veuve en 1876 à l’âge de 34 ans, vit au château de la Bruyère, située juste à côté de l’actuelle abbaye de Saint-André. Elle aura la charge de l’éducation de ses jeunes enfants. Ceux-ci se marient aux environs du tournant du siècle et cherchent, à l’époque de la lettre de Stanislas, à s’établir durablement.
La missive de Stanislas que nous reproduisons ci-dessus aura été rédigée peu de temps avant que son projet de construction ne soit définitivement arrêté. Elle traduit probablement l’impatience de son auteur, désireux de mettre son projet à exécution alors que les tergiversations de ses frères retardent malencontreusement le partage des différentes propriétés familiales.
Le recueil ‘La Vie à Tudor – Album de famille’ publié en 1985 par Jacques van Outryve d’Ydewalle (1909 - 2002) permet de retracer l’origine de ces propriétés familiales, ainsi que le mode de partage qui permit aux enfants de Charles et Marie de se répartir les biens situés à Saint-André (La Bruyère, Peereboomveld et Tudor), ainsi qu’à Beernem (Trois-Rois).
Nous en reproduisons ci-dessous de larges extraits.
Tudor
C’est en 1798, sous le Directoire pendant la Révolution française, qu’Emmanuel van Outryve d’Ydewalle (1745-1827) et son beau-frère Jacques de l’Espée firent l’acquisition d’une grande bruyère inculte appelée Beysbrouck, provenant de l’ancienne abbaye de Saint-André, qui avait été dissoute par le gouvernement français en 1796.
Ce territoire, nullement boisé à cette époque, se composait essentiellement de terres de bruyère et d’un peu de taillis sauvage. Les deux beaux-frères y entreprirent dès lors d’importants travaux de défrichement et de plantation. Les terres de Tudor passent ensuite à chaque génération par les dames.
En effet, au décès d’Emmanuel en 1827, la partie qui deviendra plus tard la propriété de Tudor échoit à sa fille Anne, épouse du chevalier Jacques de Man.
A la génération suivante Adèle de Man épouse en 1844 le baron Edmond Le Bailly de Tilleghem. Devenue veuve, elle promet ce bien à sa petite-fille Cécile van der Renne de Daelenbrouck. Cette dernière épouse en 1902 Stanislas van Outryve d’Ydewalle, auteur de la missive reproduite plus haut.
C’est donc après trois générations que, par ce dernier mariage, la propriété du Veld revient dans la famille d’Ydewalle qui en avait déjà été propriétaire un siècle plus tôt.
Mariés depuis peu, Stanislas et son épouse sont tous deux déterminés à s’établir dans le domaine du Veld, dont Cécile a hérité. Stanislas écrit en 1904, dans ses Notes rétrospectives :
« Déjà la construction d’un château était décidée. Nous avions tous les deux un attrait énorme pour le Veld de Saint-André. Notre grand-mère de Tilleghem (Adèle de Man) mit le comble à nos désirs en nous assurant pour l’avenir sa propriété de Saint-André et en nous permettant d’y bâtir ».
Dès 1904, le couple réside durant les mois d’été dans la résidence Valkenbos, qu’ils ont louée en face du château de Tudor dont ils ont entamé la construction.
Stanislas achètera plus tard la propriété du Valkenbos, qu’il passera à son frère Emmanuel en compensation de la propriété La Bruyère qu’il reprit lui-même en 1926, au décès de leur mère, Marie Aronio de Romblay, qui y résidait.
Peereboomveld
Jacques d’Ydewalle précise dans son livre que Marie Aronio prit l’initiative d’acquérir en 1903 le château de Peereboomveld, en vue d’y établir son fils ainé, Emmanuel, et son épouse Marie-Josèphe Vandenpeerenboom, mariés le 8 janvier 1898.
On y fit à cette époque quelques transformations, en y ajoutant entre autres une véranda qui a été supprimée depuis.
La Bruyère
Les trois fils de Charles d’Ydewalle avaient une soeur, Marie-Thérèse (1875-1950).
Elle épousera Emmanuel de Meester (1866-1943), dont les descendants reprirent ce bien.
Rappelons au passage que parmi les quatre fils d’Emmanuel et Marie-Thérèse, deux embrassèrent la vie monastique dans l’abbaye voisine.
Le plus jeune de ces deux moines, Antoine de Meester, consacra beaucoup de temps à collecter des informations relatives à l’histoire de ses ancêtres d’Ydewalle.
Les III Rois
L’ouvrage de Jacques d’Ydewalle rappelle également dans quelles circonstances les enfants de Charles d’Ydewalle et de son épouse Marie Aronio héritèrent du Château des III
Rois, situé à Beernem.Charles d’Ydewalle était décédé à l’âge de 36 ans, en 1876. Sa soeur Victorine van Outryve d’Ydewalle avait épousé Charles Bailleu d’Avrincourt.
Le couple n’eut pas d’enfants.
Les d’Avrincourt achetèrent en 1871 aux descendants du baron de Serret le château des « Trois Rois » à Beernem, où ils passaient l’été. Ils rentraient l’hiver à Lille en leur hôtel de la rue Royale, où les parents de Marie Aronio avaient également leur hôtel familial au n° 91.
Devenue veuve, Victorine, qui avait une prédilection pour les quatre enfants de son frère Charles, trop tôt disparu, leur fit de son vivant don de la nue-propriété de son domaine des « Trois Rois ».
Hugues van Outryve d’Ydewalle