Témoignage de Jehanne et Jean Gualbert Nève de Mévergnies
Pour la revue familiale, nous vous confions quelques réflexions sur la vie en clinique depuis mars 2020.
Tout d’abord, un brin de présentation !
Jehanne est médecin ORL et travaille en clinique (et en privé) à Mouscron depuis 25 ans. Elle a su transmettre sa passion à son fils Jean Gualbert qui est actuellement jeune médecin, en 1ère année d’assistanat ORL. Il démarre sa formation un an à la clinique de Tournai, ensuite il poursuivra 2 ans à St Luc Woluwé et 2 ans à Mont Godinne. En effet, la formation d’ORL dure 5 ans. C’est une spécialité très vaste par la diversité des pathologies rencontrées et surtout par la complexité et la diversité des interventions chirurgicales. Dans beaucoup de centres hospitaliers, les médecins développent d’ailleurs une expertise en otologiste pur ou rhinologiste pur ou laryngologiste pur. La chirurgie est souvent très délicate, au microscope ou sous endoscope. C’est aussi un métier très varié où l’on rencontre tous les âges de la vie (du nourrisson pour un dépistage de la surdité au centenaire pour un nouvel appareillage auditif), et de la pathologie la plus simple à la plus grave (du bouchon de cérumen au cancer malheureusement très lourd et trop fréquent dans la population du Hainaut profond où l’on rencontre beaucoup de patients alcoolo-tabagiques).
Printemps 2020, première vague de l’épidémie.
Comme tous, nous avons suivi les actualités en boucle au départ, montrant au quotidien le nombre de morts en Chine puis en Italie et en Espagne. Nous avons assisté, atterrés, à la non-anticipation de nos gouvernements pour l’achat de tests et à la pagaille de la gestion des masques. Encore aujourd’hui, nous trouvons que les consignes manquent de clarté. Pourquoi ne pas montrer tous les jours à la TV des exemples de bon/mauvais usage du masque. Combien de nos ministres ne gardent pas le masques sur le menton ou le retirent et le remettent sans précaution ?
Au printemps, le confinement a sonné pour tout le monde. Et c’était un mal nécessaire. Les cliniques ont encaissé cette première vague avec angoisse, tâtonnements, soucis d’approvisionnement dans les masques, tests, médicaments, respirateurs, peur de devoir faire des choix entre les patients, mais aussi avec enthousiasme et solidarité. A Mouscron, la clinique a magnifiquement résisté entre-autre grâce à sa remarquable direction et à l’excellente ambiance et cohésion du personnel.
Les consultations ORL ont été quasi à l’arrêt. On ne voyait que les urgences et on a même fait des consultations par téléphone ! C’est vrai aussi que tout le monde était dans la psychose. L’ORL est une spécialité très contaminante car nous travaillons près du visage des patients, les faisant souvent tousser. Nous avons dû faire quelques trachéotomies chez des patients Covid intubés. Là aussi, c’est de la haute voltige sur le plan contamination ! Alors, nous nous sommes habitués à de nouveaux gestes barrières : On ne travaille plus en vêtements civils + blouse, on porte des lunettes et masques FFP2, on a accentué fortement l’hygiène des mains, on désinfecte le mobilier et clinches de portes entre chaque patient…
Petite pierre apportée à l’édifice.
Etant inscrite depuis des années à un forum de discussion ORL de France, j’ai été alertée très tôt par un symptôme rare qui semblait étrangement souvent lié au Covid : la perte du goût et de l’odorat. J’ai donc alerté tous les ORL de Belgique, les ministres De Block (qui ne m’a pas répondu) et Wilmès (qui m’a répondu) et tous nos contacts. L’information dans les médias belges a suivi dans la semaine. Vous n’imaginez pas le nombre de retours que j’ai eu de la part des personnes qui avaient perdu l’odorat sans autre symptôme. Depuis, ce symptôme est reconnu comme spécifique du Covid.
Eté 2020, une lente reprise…
C’est perturbant de voir combien nos consultations ont été impactées par la pandémie. Les gens ne voulaient plus venir. Faisons-nous une médecine de luxe, qui ne soigne que des bobos superficiels ? Où sont passés les cancers, les abcès ? Mystère … Malheureusement, c’est aussi le moment de découvertes de maladies qui ont traîné pour être diagnostiquées et soignées. Les consultations et salles d’opération ont lentement repris jusqu’à retrouver une vitesse de croisière début octobre. Où, vlan la deuxième vague est arrivée !
Automne 2020, deuxième vague.
C’est à nouveau la panique dans les cliniques, l’annulation de tous les blocs opératoires non-urgents, la recherche d’aide pour les services Covid d’autant plus qu’énormément de personnel est à l’arrêt car testé positif. Le nombre d’hospitalisation est monté en flèche pour quasi doubler le sommet d’avril ! Or, on se souvient qu’au printemps, un hospitalisé sur 4 devait décéder.
Il est trop tôt pour dire comment les équipes surmonteront cette nouvelle vague. Car même si nous sommes mieux préparés, mieux équipés, plus efficaces dans le traitement, cela reste une maladie très grave. Cette nouvelle vague impacte beaucoup plus les jeunes. A titre d’exemple, il y a 2 semaines, la réanimation de Mouscron avait 5 patients de moins de 50 ans dont 3 de moins de 30 ans dont 1 est mort.
Jean Gualbert en renfort dans les unités covid
C’est ainsi que Jean Gualbert est amené à aller très régulièrement porter renforts en unité covid. Il y va 2 jours par semaine. C’est un travail de médecine interne. Cela l’intéresse et comble aussi des programmes un peu allégés en ORL. Il est heureux de constater l'entraide entre services et spécialités, le personnel uni face à la crise avec de nouveaux liens qui se créent. C'est revigorant de voir tant de personnes faire face ensemble, avec dévouement et humilité.
Mais ces séjours en unité covid ont un vrai impact sur notre vie de famille. En effet, nous accueillons depuis 2 ans à la maison un oncle, Jean-Paul Delvaux, 92 ans. Or il est très fragile, sensible aux pneumonies. C’est pourquoi, depuis quelques jours, Jean Gualbert est en quarantaine dans notre maison. Il vit à l’étage avec sa propre salle de bain, prend ses repas seul (préparés par maman), a droit à une papote avec ses parents lors d’une promenade masquée mais n’a pas droit à passer la soirée en famille. C’est dur et nous espérons que cela ne se prolongera pas plus de 6-8 semaines.
Ultracrépidarianisme ?
Cette année 2020 se termine ; elle aura profondément changé notre rapport au monde et à la connaissance. Comment ne pas sortir désorienté, inquiet et chancelant après ces longs mois de cacophonie ? Nous avons souffert de l'ignorance sur ce virus, mais surtout de la pléthore d'avis contradictoires, au risque de succomber à une « informatite aiguë ». Pour combler notre incertitude, nous embrassons les certitudes affichées d'autrui. Un nouveau mot est apparu: l'ultracrépidarianisme. Cette tendance de certaines personnes à s'exprimer avec assurance sur des sujets qu'ils ne maitrisent pas. Face à l'ignorance, plutôt que de se vouer à l'avis de pseudo-experts, nous pensons qu’il faut rechercher la vérité et faire confiance à la méthodologie scientifique et à l’éthique du corps médical.
Prenons soin les uns des autres
Nous pouvons conclure que cette épidémie a changé notre façon de vivre, avec un cortège de bénéfices (solidarité, écologie, recentrage des priorités…) mais aussi un cortège de souffrances, de morts, de deuils difficiles, de dépressions, de carences scolaires…. Si le personnel médical mérite certainement des applaudissements, il mérite surtout l’adhésion de la population aux gestes barrières, aux consignes, au port du masque. C’est vraiment cela que nous demandons, au bénéfice de tous, des plus jeunes et des plus vulnérables.
Témoignage de Jehanne (épouse d’Eric Nève de Mévergnies, fille d’Alain Delvaux de Fenffe et de Marie van Outryve d'Ydewalle, branche Jacques et Lilly) avec son fils, Jean Gualbert Nève de Mévergnies.
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