La philanthropie, une affaire florissante ?
Contribution de Hugues d’Ydewalle, coordinateur bénévole du Fundraisers Forum, parue dans La Libre Belgique du 7 mai 2017, concernant les dérives du secteur de la collecte de fonds.
La générosité des Belges, qui mérite d’être saluée, est inférieure à la moyenne des pays voisins. Nous sommes beaucoup moins altruistes qu’aux Pays-Bas, où la générosité des particuliers et des entreprises a permis en 2015 de redistribuer 5,7 milliards d’euros au secteur associatif. L’actuelle opération de solidarité "Famine 12-12" du Consortium 12-12 a recueilli 8 millions d’euros.
Aux Pays-Bas, la campagne équivalente "Giro 555" s’est clôturée le 7 avril sur un solde de 33 millions d’euros. Le mécénat des entreprises belges est également moins développé que dans d’autres pays (comme la France) notamment faute d’incitants fiscaux significatifs.
Nos résultats restent timides dans des domaines qu’on croyait promis à un bel avenir, tel le crowdfunding au bénéfice de causes humanitaires ou sociales.
Dons et legs: gagnants et perdants
Les Belges sont plus généreux, mais leurs contributions se concentrent surtout en faveur des grandes organisations. Le Baromètre de la générosité du Fundraisers Forum mesure l’évolution des dons et legs de quelque 270 associations qui collectent au total plus de 370 millions d’euros par an. Il en ressort que la générosité des Belges s’était accrue en 2015 de 7 % au profit d’une soixantaine d’organisations qui collectent déjà plus d’un million d’euros par an. Par contre, les dons en faveur de 200 associations de taille plus modeste n’avaient guère augmenté, et les legs avaient subi une diminution sensible.
Une stabilisation ou une diminution des dons et legs en faveur des associations de taille moyenne avait déjà été observée en 2013 et 2014.
Diverses recherches publiées en France et aux Pays-Bas, ainsi qu’à l’initiative de la European Fundraisers Association, confirment que le renforcement de la générosité publique bénéficie surtout aux grands acteurs de la collecte.
Il serait vain de dénoncer cette répartition inégale des dons et legs ou d’amorcer d’inutiles querelles entre petits et grands acteurs de la collecte. Cette évolution n’est cependant pas anodine, car elle renforce surtout la générosité en faveur de causes qui suscitent d’emblée le plus large consensus : mobilisation contre le cancer, aide aux enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap, etc. A l’inverse, malgré la sympathie de nos concitoyens pour les nombreuses structures actives dans la solidarité de proximité, ces dernières ne bénéficient que marginalement de l’augmentation des dons et legs.
Concilier éthique et professionnalisme
La progression des grandes organisations caritatives belges est indissociablement liée à la professionnalisation de leur collecte de fonds. On aurait tort de leur reprocher de s’être engagées sur cette voie. Recrutement de donateurs sur la voie publique ou en porte-à-porte, campagnes de marketing téléphonique, envois ciblés de mailings de prospection : ces modes de prospection et de fidélisation ont accéléré la mobilisation de nouvelles générations de donateurs.
Une autorité de contrôle ?
Un nombre croissant d’associations sous-traitent désormais une partie de leurs opérations de prospection à des agences commerciales spécialisées en fundraising. Mais cette intrusion de partenaires commerciaux dans le processus de mobilisation des sympathisants peut présenter des risques de dérives. Ainsi, au Royaume-Uni, une succession d’abus en matière de techniques de persuasion des donateurs a amené le gouvernement à placer les associations actives en levée de fonds sous la stricte autorité d’un Fundraising Regulator depuis juillet 2016.
Nous n’en sommes pas encore là en Belgique, pour partie grâce à la vigilance des organisations membres de l’Association pour une éthique dans la récolte de fonds (AERF). Plus de 95 % des associations belges actives en fundraising ne font malheureusement pas partie de cet organe d’autorégulation du secteur.
Notre pays compte également plusieurs organisations, parfois pilotées depuis l’étranger, dont les coûteuses et agressives méthodes de prospection irritent beaucoup de donateurs : envoi fréquent d’appels aux dons, messages à tonalité misérabiliste, courriers de sollicitation accompagnés de gadgets, location ou vente des adresses de donateurs actifs. L’immense majorité des acteurs de la collecte récusent ces pratiques et méritent notre confiance. Mais la vigilance s’impose.
Le récent sondage Ipsos Public Affairs publié dans le cadre du Baromètre de la philanthropie (Fondation Roi Baudouin) indiquait que 24 % des Belges considèrent que la communication des associations actives en levée de fonds n’est pas éthique.
Le bilan de la philanthropie belge est donc contrasté. Les résultats financiers globaux sont positifs. La professionnalisation des grandes associations y a fortement contribué.
Mais il leur faudra éviter les écueils du charity business qui a détérioré la confiance des donateurs ailleurs en Europe.
La philanthropie n’est pas un "booming business" pour une majorité d’associations de taille moyenne, grandes perdantes sur un marché de plus en plus concurrentiel.
Réussiront-elles à professionnaliser leur collecte de fonds en tenant compte de ce que le street-fundraising et le marketing téléphonique leur sont difficilement accessibles ?
On aimerait les voir faire campagne ensemble, à l’exemple de la "Small Charities Week" britannique, pour nous rappeler que les causes moins médiatisées méritent également de bénéficier de notre générosité.
(1) Source: Geven in Nederland
-> Autres articles publiés dans le Bulletin n°27 (octobre 2017): lien