Portrait dans Le Soir
Le Soir du 17 août a publié un sympathique portrait de notre cousine Sixtine, rédigé par Charlotte Hubin.
Aspirante FNRS, Sixtine travaille sur la démocratie directe communaliste aux côtés d’Olivier De Schutter.
Cette militante dans l’âme refuse d’opposer rigueur scientifique et engagement politique. A 28 ans, elle possède déjà un parcours impressionnant.
Place Montesquieu, Louvain-la-Neuve. Derrière la froideur des murs de la cité louvaniste, Sixtine van Outryve d’Ydewalle – de son nom complet – nous attend tout sourire. Au deuxième étage, son bureau est à son image : haut en couleur et en revendications. Les murs sont repeints d’affiches aux slogans politiques : « Le capitalisme détruit la planète », « Contre la justice hypocrite et raciste ». Les bibliothèques remplies à craquer d’ouvrages sur le droit, la philosophie, et la démocratie directe communaliste (le sujet de sa thèse dont elle devra nous rappeler à plusieurs reprises le terme exact).
A 28 ans, la jeune femme a déjà un parcours impressionnant. Née à Bruxelles 1000, Molenbeekoise d’adoption, elle place l’engagement social et citoyen au centre de ses priorités, et ce, depuis sa plus tendre enfance. A l’âge de huit ans, elle décrétera – dixit sa mère – qu’elle refuse de manger des animaux, ne supportant plus de leur faire du mal. « J’avais de la peine lorsque je mangeais de la viande. Mes parents ont pris un peu de temps à l’accepter mais ils ont été très compréhensifs. » Durant ses vacances scolaires, Sixtine travaille comme bénévole auprès de jeunes handicapés.
Son père, photographe diplômé en philosophie, lui donne le goût de « l’amour de la sagesse » en héritage. « Il me faisait parfois écouter des philosophes dans la voiture », se remémore Sixtine avec tendresse. « A 15 ans, lors d’un cours de religion, je me souviens que l’on avait vu Karl Jaspers. On parlait de l’homme dans une société qui n’a plus de sens, qui est la société capitaliste, et ça m’a énormément parlé. J’étais dans une quête de sens et j’avais envie d’aller vers les auteurs qui donnaient des outils pour amener ce sens. »
A la fin de ses études secondaires, c’est tout logiquement qu’elle envisage de s’inscrire en philosophie. « Mes parents m’ont alors gentiment dit que ce serait compliqué de trouver un boulot », indique-t-elle sans aucun remords. « Ils n’avaient peut-être pas tout à fait tort… »
Pas question de flancher pour autant. Ni une ni deux, elle entame un double cursus en philosophie et droit. Dans la première, elle trouve son épanouissement intellectuel. Le second lui donne de la structure et le domaine d’application. « Je voulais faire quelque chose qui change le monde ou du moins avoir un impact sur la société. Alors oui, ce n’était pas évident de combiner les deux en même temps. J’avais des années à 100 crédits. »
Curieuse de tout
A la même époque, elle s’engage au Kap-vert, un kot à projets qui a pour but de sensibiliser les étudiants à l’écologie. « J’ai été politisée sur le tard », estime-t-elle. « Ma politisation a commencé par la cause écologique, toutes les luttes contre le TTIP, le Ceta, et les traités de libre-échange. » Insatiable, elle participe à la MUN society, une simulation des Nations unies, et deviendra en 2020 administratrice à la Ligue des droits de l’homme. Elle s’intéresse également aux violences policières, aux droits des femmes. « C’est un peu un engrenage. Une fois que l’on met le doigt sur une injustice, on en découvre d’autres et on ne peut plus s’arrêter de lutter contre. »
Dans la famille Van Outryve d’Ydewalle, l’engagement politique coule dans les veines. Son père, Gauthier d’Ydewalle, est un ancien élu communal CDH. Sa mère, Pascale Govers, est fonctionnaire européenne. « Lorsqu’une question nous tient à cœur, on y va à fond. Par contre », nuance Sixtine, « il est vrai que je ne viens pas d’un milieu socio-économique où on a forcément un intérêt à aller s’engager à gauche. Donc oui, il m’arrive d’avoir des conflits avec mes proches en raison de mon militantisme. J’essaye alors de savoir où mettre mon combat. »
Par le passé, Sixtine admet que la culpabilité inhérente à sa condition sociale a pu la guider dans son militantisme. « Dans notre société, les privilèges de certains se construisent sur le dos et l’exploitation d’autres personnes. Même si je n’exploite personne, j’ai bénéficié de certains privilèges au détriment des autres. Désormais, j’ai la volonté que le monde change parce que j’estime que la situation est injuste et que je ne serai pas libre tant que mes confrères et mes consœurs ne le seront pas. »
Militantisme et sciences
Son double bachelier en poche, Sixtine entame un master en droit international à la KU Leuven en s’orientant vers les droits humains et la philosophie des droits de l’homme. A la sortie de ses études, elle postule comme assistante auprès d’Olivier De Schutter, professeur en droit international à l’UCLouvain et rapporteur spécial à l’ONU. Elle se lance alors dans une thèse de doctorat sur la démocratie participative. « Au fur et à mesure que j’approfondissais le sujet, j’en devenais de plus en plus insatisfaite. Si la démocratie participative part bien d’une critique de la démocratie représentative, elle y reste compatible ; le pouvoir est donné à certaines personnes pendant que le reste du peuple ne l’a pas. »
Au fil de ses recherches, la jeune femme entend parler du Rojava, une région autonome de 4 millions d’habitants au nord de la Syrie, dont le système politique est grandement influencé par les thèses du militant et intellectuel anarchiste Murray Bookchin. « Le Rojava est le seul endroit au monde où la démocratie directe communaliste est mise en place. Le pouvoir est exercé en démocratie directe. Tous les résidents se retrouvent en assemblée populaire pour discuter des questions sociétales, économiques, politiques. La commune devient l’unité politique principale, et non plus l’Etat », explique Sixtine. « De cette manière, on déprofessionnalise la politique puisqu’elle devient l’activité de tout un chacun. »
Grâce à une bourse pour faire un LLM à Yale, elle rencontre les disciples de Bookchin et se familiarise davantage avec sa théorie. « Cette expérience fut incroyable. J’ai pu rencontrer tous les gens de l’Institut pour l’écologie sociale qu’avait fondé Bookchin, ainsi que de nombreux militants. A côté de ça, Yale est un milieu très élitiste et privilégié. On considère que tu as ta place parce que tu as payé pour. Cela me conduit parfois à ressentir une certaine dissonance par rapport à mon métier. Il est absurde que l’on soit mieux payé alors que pour beaucoup, l’université reste inaccessible en termes financiers. »
Après ce séjour aux Etats-Unis, Sixtine réoriente sa thèse vers la démocratie directe communaliste. Une évidence. « En rentrant, j’ai passé plusieurs mois sur le terrain en France, à Commercy. Durant le mouvement des gilets jaunes, ces derniers se sont organisés en assemblées populaires. Certains ont décidé de se lancer au niveau local pour redonner le pouvoir de décision aux habitants. »
Sixtine est passionnée. Lorsqu’elle évoque le sujet de sa thèse, son débit de parole s’accélère. Les mots s’envolent avec aisance. Ses mains suivent le mouvement. « Certains me disent que ce que j’étudie est absurde, que de toute façon un tel système démocratique ne sera jamais mis en place. Mon but est de prouver que des arguments peuvent défendre cette théorie radicale. » Peut-on combiner militantisme et recherche scientifique ? Sixtine répond par l’affirmative. « Ma légitimité tient au fait d’avoir une démarche scientifique et de relayer fidèlement la réalité de terrain, pas d’être neutre. Pour moi, la neutralité n’existe pas, même en droit. A partir du moment où l’on défend le système établi, on adopte une position politique. »
Entre pessimisme et espoir
Maintenant qu’elle dispose des données, il ne reste qu’à les mettre en forme. Grâce à la bourse « Vocatio », Sixtine va réaliser un séjour de recherche à l’université d’Edimbourg. « Ce séjour de six mois va me permettre de me frotter aux théories anglaises et de rédiger ma thèse sous la direction de professeurs spécialisés en innovation démocratique, notamment Olivier Escobar. » Au terme de sa thèse qu’elle prévoit d’achever en 2021, elle espère continuer dans l’enseignement, tout en poursuivant son engagement sociétal.
Sa vision de l’avenir ? Sixtine vacille entre pessimisme et espoir. « La montée du nationalisme me fait peur. Les gens n’ont plus confiance en l’institution politique. Les partis n’offrent pas de projets de société autour desquels on a envie de se rassembler », souligne-t-elle. « Mais lorsque je vois le mouvement de solidarité qui s’est créé suite aux inondations, les militants engagés pour la cause des sans-papiers, je reste bien évidemment optimiste quant à l’avenir. Ces militants anonymes et l’énergie qu’ils mettent dans leur combat sont ma plus grande source d’inspiration. »