Interview d'Anne et et de Cedric Janssens de Bisthoven
Cedric est le fils de M. Léon Janssens de Bisthoven et de Mme née Jacqueline de Failly, petit-fils de M. Jean de Failly et de Mme née Marie-Adeline van Outryve d’Ydewalle.
Il y a bientôt 25 ans, vous débarquiez à Ottawa pour une première expérience diplomatique. D’Ottawa à Washington DC, en passant par Tunis, Zagreb, Vienne, Genève, et New York, c’est un impressionnant gymkhana professionnel et familial ! Que signifie pour vous cet anniversaire?
Cedric : « You’re such a good team », nous a dit un jour l’Américaine qui nous accueillait dans son B&B lors d’un voyage dans le Vermont avec nos deux jeunes enfants. Ce compliment m’est souvent revenu en mémoire. Sans Anne comme co-équipière, je ne serais pas allé plus loin qu’Aix-la-Chapelle. Je lui suis infiniment reconnaissant d’avoir été à mes côtés pendant ces 25 années, pour un concert à quatre mains: chacun joue sa partition, sur le même piano…et en tournée internationale.
Anne : Je n’aurais jamais imaginé tout ça. Notre parcours a été riche de rencontres merveilleuses et en même temps chargé d’une énorme logistique. Cela veut dire partir, quitter, abandonner, dire au revoir, perdre des amis… et recommencer encore et encore. Le mot «déménagement » me donne le vertige.
Anne, que représente pour toi le fait d’être femme de diplomate ?
« Sans et cent métiers ». J’ai abandonné toute forme d’ambition professionnelle et j’ai compris que je devais compter sur mes ressources propres pour réinventer ma vie à chaque changement de poste. J’ai mis sur pied des groupes de parole et d’écoute pour expatriées à New York et à Washington. J’ai ajouté une corde à mon arc en suivant une formation de « yoga teacher » en Virginie. J’accompagne aussi Cedric aux réceptions et dîners officiels.
Cedric, Comment en est-tu venu à choisir cette carrière?
Adolescent je voyais des oncles ou des cousins quitter nos Flandres pour des destinations lointaines, et, un beau jour, revenir, « heureux qui comme Ulysse », riches d’autre chose de plus vaste. Cela m’a donné envie d’aller, à mon tour et à ma façon, explorer le monde au-delà des remparts de Bruges. En même temps j’ai commencé assez tôt à m’intéresser à la politique internationale. En 1989, alors que je faisais partie du service juridique d’une boîte de construction, l’Europe s’est remise à bouger et cela a suscité en moi l’étincelle, la volonté de vivre de plus près ces bouleversements, de l’intérieur, au lieu de les suivre passivement le soir dans un fauteuil. La carrière diplomatique m’offrait à la fois cette possibilité et celle de servir mon pays et le bien commun, un aspect qui est et reste très important pour moi. Il ne s’agit ni d’une expatriation, ni d’un voyage, mais une mission de représentation et de service d’un État et de sa population, ce qui représente un privilège et une lourde responsabilité. Lancé avec enthousiasme dans la préparation du concours diplomatique, voilà que je rencontre à une activité mondaine, une jeune femme qui partage mon projet de découvrir le monde. Le 4 janvier 1994 nous débarquions à Ottawa par moins 36°C avec un enfant de deux ans….
Comment pourrais-tu résumer ton profil de diplomate ?
Cedric : Bien qu’ayant fait quelques postes bilatéraux, je me sens essentiellement porté vers la diplomatie multilatérale, à laquelle j’ai pris goût à Vienne, et que j’ai ensuite pu approfondir à Genève et surtout à New York. Au-delà de la simple défense de leurs intérêts nationaux, les États, visent essentiellement dans les organisations multilatérales à concevoir et à faire progresser le « bien commun international ». On touche aux défis mondiaux, à travers des dossiers très techniques, comme le changement climatique, le désarmement, les droits de la personne, le développement durable, la prévention des guerres et la construction de la paix. Ceci nécessite une constante interaction avec les collègues du monde entier pour parvenir à des conclusions acceptables pour tous. Travail parfois frustrant tant les progrès sont millimétriques. Il faut aussi être en contact constant avec « la capitale », faire des propositions et mettre en œuvre des instructions reçues. C’est une école de patience, de créativité, d’entregent; j’ai par conséquent beaucoup appris !
Anne, comment as-tu vécu ses tribulations ?
Il y a eu des hauts et des bas, comme dans toute vie, avec, à mon avis, l’effet de la distance qui amplifie les moments heureux et les moments difficiles dans lesquels on se sent particulièrement seuls parce que loin de la famille et que parfois on n’a pas encore d’amis…
Et les enfants là-dedans ?
Partis en 1994 avec Charles qui avait alors 13 mois (13 mois ou deux ans ? voir plus haut … Le 4 janvier 1994 nous débarquions à Ottawa par moins 36°C avec un enfant de deux ans…. ), nous sommes revenus une première fois en Belgique avec 5 enfants en 2004. Les enfants petits se trouvent bien là où leurs parents sont bien. Les lycées français offrent une scolarité standardisée qui permettent de passer facilement d’un pays à l’autre. En revanche changer de système scolaire, par exemple réintégrer le système belge, devient plus difficile au fur et à mesure que la scolarité avance.
Puis vint un moment où nous avons fait le choix du retour des enfants en Europe pour faire des études supérieures. Ce retour-là est très difficile, pour le jeune qui doit apprendre à gérer tous les aspects de sa vie au quotidien et pour nous dont la configuration familiale est profondément différente. Les adolescents ont aussi plus de difficulté à changer d’environnement. Un point positif est leur excellente connaissance de l’anglais et une grande ouverture d’esprit : fréquenter 64 nationalités au lycée français de Washington est un enrichissement quotidien !
Comment avez-vous occupé votre temps libre ?
Anne : j’avais très peu de temps libre lorsque les enfants étaient petits. Les hivers canadiens à -25 C m’ont vue rester des journées entières à la maison sans voir personne. Il m’arrivait d’embarquer mes deux petits pour les faire courir dans un grand centre commercial. En revanche, à Washington j’étais membre d’un « International Women’s Club » dont une moitié était composée de femmes de diplomates et l’autre d’épouses de Congressmen. Nous nous rencontrions chaque mois pour apprendre à mieux connaître la culture de nos pays : États-Unis, Japon, Luxembourg, Lettonie, Danemark …
Cedric: chaque endroit offre des plaisirs différents. En Tunisie, des randonnées dominicales dans le bled avec un groupe de mordus, expats et quelques Tunisiens. Notre séjour à Vienne nous amène à faire des excursions dans les pays voisins. A Genève, le ski de fond et la randonnée dans le Jura. Aux États-Unis, nous avons eu l’occasion de faire des voyages magnifiques, sur les deux côtes. Sur « Le blog de Caillou Blanc » ainsi que sur le second blog, Anne a raconté au jour le jour notre vie en Amérique. Au quotidien, je passe beaucoup de mon temps « libre » à lire et à éplucher la presse internationale.
Avez-vous un souvenir marquant à partager ?
Anne : Sandy et Irene ! Quand l’imprévisible s’invite dans nos vies. Lorsque l’alerte a été lancée pour l’ouragan Irene et un an plus tard Sandy… Nous avions du mal à y croire … New York n’est pas dans une zone tropicale. Que faire ? Faut-il prendre les alertes au sérieux ? OUI ! Des heures de préparation pour vider le rez-de-chaussée de la maison menacé d’inondation, pour cuisiner tout le contenu du frigo (en cas de coupure de courant, plus rien ne fonctionne), pour faire le plein d’essence, pour obtenir de l’argent liquide… Et ensuite se rendre chez une voisine dont la maison était moins exposée que la nôtre. C’est grâce à Irene que nous avons fait la connaissance de notre amie new yorkaise. Apéritif, dîner et discussions passionnantes alors que le vent forcit et que la pluie s’abat en trombes. Après une courte nuit, l’aube se lève sur un désastre… En revanche, sur le plan social Irene et Sandy ont été des réussites pour nous : 12 jours sans électricité ont été l’occasion d’une solidarité inhabituelle et très appréciée.
Comment arrivez-vous à gérer les amitiés, les relations avec vos familles ?
Cedric : Nouer de vraies amitiés au fil de séjours de trois ou quatre ans ne va pas de soi. Nous rencontrons beaucoup de monde. Se faire des amis c’est bien autre chose. Les postes plus difficiles sont aussi ceux où se nouent le plus facilement des amitiés (Tunisie, Croatie). A Washington, poste « facile », on vous donne ce conseil: « if you need a friend, get a dog »…Nous avons tissé quelques amitiés avec des personnes ou des familles avec lesquelles nous avons eu l’occasion de vivre des expériences fortes. Rien de tel qu’un ouragan, par exemple ! Les amitiés avec d’autres « itinérants » sont inévitablement affectées par la rotation annuelle. A peine avons-nous eu le temps de les apprécier qu’ils partent, à moins que ce soit à notre tour de plier bagage. C’est éprouvant, car il faut faire le deuil de ces séparations, et tout recommencer… De chaque poste nous gardons heureusement quelques belles amitiés toujours bien vivantes. Il nous arrive aussi de retrouver des personnes que nous avons rencontrées dans un poste précédent. Pour les « locaux » au contact avec les diplomates, ce n’est pas facile à vivre non plus. Certains se lassent d’investir dans ces oiseaux de passage. Le retour en Belgique amène aussi son lot de défis. Je pense notamment au décalage avec la famille proche. L’écrivaine Lieve Joris l’exprime à merveille lorsqu’elle dit :“Zij begrijpen niet altijd dat de wereld waarin ik ben terechtgekomen deel van me is geworden. Zij denken misschien dat die er is opgeplakt, want zo waart gij vroeger niet”. (entretien, De Standaard der Letteren, 21.9.2018)
Vous avez encore de belles années devant vous. Des idées pour l’avenir ? Des destinations de rêve ?
Cedric : C’est le genre de question que tout le monde nous pose et elle n’a pas de réponse pour l’instant.
J’apprécie beaucoup les joies simples dans notre maison à Beaufays et le bon pain belge !
-> Lien vers le sommaire du Bulletin n°29